[Mission - Sanctuaire sous la brume] Sakhmet

C’était une journée particulièrement épuisante au travail. Sakhmet avait dû faire non pas une, pas deux… mais TROIS livraisons ! Vous vous en rendez compte ? Elle, qui autrefois régnait sur un pays entier. On pourrait croire qu’en 3000 ans, elle se serait habitué à la vie de paysanne ; à devoir fournir un peu d’huile de coude pour avoir ce qu’elle voulait au lieu de simplement claquer des doigts et laisser ses servantes combler ses besoins. Ce n’était pas tout à fait le cas. Elle rêvait souvent de retrouver sa vie d’autrefois, mais cela signifierait perdre son immortalité à Weirdtown.

« Vingt-et-un, vingt-deux et… vingt-trois anis. Il y en a qui ne sont pas très reconnaissant. Je m’en souviendrai pour la prochaine fois, je vais mettre en priorité ceux qui me paient pour mon bon service. » dit Sakhmet avant de se faire claquer la porte au nez. Personne ne lui donnait de pourboire, ou presque, et elle faisait croire que tous les autres le faisaient, pour les faire culpabiliser et pour avoir plus d’argent. Jamais elle ne remettrait en question son attitude.

« Je serais mieux d’aller me reposer. Si les clients sont pour être comme cela. » La jeune femme tourna lassement les talons et enfourcha sa petite mobylette. Elle connaissait un endroit sympathique tout près où passer les dernières heures sans se faire déranger d’ici la fin de son quart de travail. Le sanctuaire. Sakhmet était consciente que ce lieu avait une signification spirituelle pour la communauté asiatique, mais elle s’en fichait. Elle trouvait l’endroit joli et aimait regarder les arbres aux feuilles roses, les statues et surtout, il y avait une pierre, qu’elle jurait, formée exactement pour épouser ses formes une fois allongée. C’est donc sur cette pierre qu’elle tombe facilement assoupit.

C’est d’un coup qu’elle ouvrit les yeux, comme si elle sentait un danger imminent. Elle pensa immédiatement à sa malédiction. La pharaon observa ses mains longuement et constata qu’elle était toujours sous sa forme humaine. En relevant le regard, elle se sentit soulagée. Elle se remémorait ce qui s’était passé. Elle s’était permise une petite sieste sous le Torii. La jeune femme se redressa alors et étira ses bras et tout son corps. Une fois debout sur ses jambes, l’Égyptienne remarqua que le brouillard l’empêchait de voir plus loin que le bout de son nez. Soudain, un murmure se fait entendre, dans ce paysage gris. Un frisson glacial parcourut la colonne vertébrale. Non pas que la pharaon avait peur, mais c’était un sentiment trop familier pour elle. La dernière fois qu’elle s’était retrouvé dans un endroit brumeux et qu’un murmure tentait de l’attirer, elle s’était retrouvée face à face avec Anubis. Était-ce encore le cas ? Allait-il lui annoncer qu’elle allait retrouver sa maison ? Sa famille ? Qu’il allait lui enlever la malédiction de la momie ? Enfin ! Après tout ce temps !  

Il n’y avait qu’un moyen de savoir et c’était en suivant ce murmure.

« Anubis ? Mon roi, c’est vous ? » Continuait de demander frénétiquement Sakhmet tout en avançant à tâtons dans cet épais bouillard. Son cœur palpitait, excitée de rencontrer le dieu pour connaître les nouvelles qu’il allait lui annoncer. Mais plus elle avançait, moins elle était convaincue de la présence divine du dieu des morts. Plus elle doutait, plus les frissons dans son dos se font intense. Elle savait qu’elle n’était pas seule, elle le sentait au plus profond de sa chaire. Qui pouvait bien la traquer de cette façon ?

« Vous m’avez dérangé pendant ma sieste » s’offusque la reine, d’un ton autoritaire. « Si c’est une mauvaise blague, allez la faire à quelqu’un d’autre. »

Si elle apprenait que quelqu’un s’amusait à lui faire peur, elle amènerait cet individu dans la forêt et l’attacherait jusqu’à la tombée de le nuit pour lui montrer sa colère. En tant que momie, lors des premières minutes de transformation, elle était incontrôlable. Tandis qu’elle échafaudait un plan, elle entendit des voix au loin, qui se rapprochèrent de plus en plus. C’était un homme qui se plaignait. Sa tristesse ne toucha aucunement Sakhmet. À plusieurs reprises on avait voulu la marier pour des jeux de pouvoirs. Elle avait su tenir son bout, jamais elle ne serait sous l’emprise de quelqu’un d’autres. C’est pourquoi elle se mit à rire de mépris pour cet inconnu. Qui avait cru que le mariage était chose facile ?

« Vous avez vraiment cru… » elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase que la silhouette se dissipa. La pharaon cligna à plusieurs reprises des yeux. Devait-elle maintenant douter de ses sens ? Elle venait bel et bien de voir quelqu’un, non ? Elle avait même entendu ses horribles gémissements. Malgré le froid qui lui glaçait le sang et cette sensation peu rassurante, elle s’aventura vers les autres murmures. Les esprits essayaient de communiquer avec elle et elle devait savoir pourquoi.

« Que me voulez-vous ? »

Les murmures s'intensifient, pénétrant profondément l'esprit de l'égyptienne, ce qui la perturbe. Elle ressent un malaise grandissant. Sa main commence à trembler. La pharaon porte son regard sur ses doigts. Un instant, elle craint que sa transformation ne commence, mais rapidement, une colère bouillonnante la submerge. Ses doigts se serrent en un poing solide. Elle ne se pose même pas la question de pourquoi cette colère l'envahit, elle la ressent simplement.

Soudain, une voix perce la brume, appartenant à une silhouette de vieille femme. Instantanément, Sakhmet reprend sa posture royale et observe l'inconnue avec dédain. Silencieuse, elle écoute attentivement chaque parole. Elle réalise rapidement que cette colère est partagée par la dame. Cette dernière a bien fait de ne rien partager après la mort. Les gens ne sont plus fiables de nos jours, tous des arbres sans fruits.

"اللي بيرزق بيتكرم" (Celui qui mérite recevra sa part de bonté), dit-elle, pensive à l'intention de l'histoire de la dame, avant d'ajouter "كلب" (sales chiens) avec mépris.

Alors que la jeune femme avance pour rejoindre l'aînée, celle-ci se dissipe comme les autres. La colère s'apaise, mais demeure, assombrissant son cœur. Pourquoi les Dieux s'acharnent-ils sur elle ? Qu'essaient-ils de tester ?

"Cessons ce jeu", déclare-t-elle d'une voix forte, comme s'adressant à une assemblée invisible dans son palais. "Montrez-vous." Mais les murmures deviennent de plus en plus intenses, l'étourdissant légèrement. Il est hors de question qu'elle quitte cet endroit sans comprendre ce qui se passe.