Tomorrow is another day [ PV Matthew]

Matt avait l'habitude de trainer dans les parages du quartier Hispanique le soir, frôlant la dangerosité d'El Coco, peut-être en un effort inconscient auto-destructeur. Loin d'être un grand fêtard, il préférait la solitude de l'après-fête pour profiter de l'air nocturne de Weirdtown sans tous les efforts sociaux nécessaires. Si ce n'était pas pour le boulot, il avait tendance à éviter le reste de son quartier le jour, son attitude maussade très peu compatible avec ses voisins.

Enfin, tout pour dire que voir Matt en dehors de son domicile et sans son sac à outil dans les rues le jour était une surprise pour tous ses voisins. Attirant le regard des autres, il maudissait sans grande colère le nom de son plus jeune frère, dent écrasant un maggot de cigarette éteint. Ethan avait ses habitudes, et Matthew avait tendance à lui laisser son espace, surtout depuis... Enfin vous voyez quoi? Mais cet instinct qu'il avait longtemps enfoui sous de la haine fumante le titillait depuis ce matin, cet intuition le poussant à s'occuper du bien-être de son benjamin, la petite voix dans le fond de sa tête l'alertant aux dangers.
Alors ouais, le voilà qui a passé la journée entière à se ronger les ongles et à faire les cents pas en attendant de voir la tête d'Ethan se repointer à son appartement. C'est peu après midi qu'il décida qu'il en avait eu assez et qu'il attrapa ses clés, son paquet de cigarette et sorti à la recherche de son frère.

Ainsi le voilà à arpenter les ruelles du quartier Hispanique à la recherche de la présence fantomatique de son frère, cherchant aux endroits habituels où il se cachait normalement (derrière des poubelles ou dans des poubelles).
Sans succès.
Un cocktail de frustration et d'inquiétude se mélangeait afin de créer un stress monstre, le rendant pas qu'un peu irritable. Il ne voulait pas être sec avec ses voisins, mais c'était plus fort que lui.

C'est donc comme ça, sens étirés et concentrés sur tous les petits indices de la présence d'Ethan qu'il capta quelque chose d'anormal dans une ruelle reculée. Se pointant la tête dans l'ouverture, il jeta un regard à ce qu'il pensait être un animal ou autre et fut accueilli par le bruit des pleurs de son frère —malheureusement très reconnaissable pour Matt—. Ses yeux directement attirés par la peluche dorée entre les mains de l'inconnu, Matt vit mauve.

Prédateur rôdant, il s'approcha à grandes enjambées de l'inconnu et le saisit de l'épaule, visage vide de toute émotion autre que de la fureur. Coup de poing violemment asséné, il cracha sur la forme à terre se tenant le nez :
— Ose toucher à un de ses cheveux et tu perdras plus que ton joli nez.
Accent anglais-américain se morphant en un prononciation chic et hautaine, rappelant un autre Griffiths plus âgé, yeux glaces gagnant progressivement du mauve dans leurs iris plus l'eau approchait du point de déversement.

Prédateur suivait des yeux la gazelle s'enfuir la queue entre les jambes, mais la flamme n'était pas aussi facilement éteinte ; maintenant que le brasier était allumé, il incinérerait tout sur son passage jusqu'à ce qu'il se consume entièrement—
— ....J-Je s-s-suis désolé Mattie-
Les paroles chuchotées du plus jeune eurent l'effet d'une douche froide sur l'ainé.

Mattie.

Oh, le surnom n'avait pas été chuchoté depuis si longtemps... Aux vieilles oreilles de Matt, c'était un coup de tonnerre, de la craie contre le tableau vert.

Mattie.

Quand était la dernière fois qu'il avait entendu ce surnom qui pourtant avait été la normale il y avait tant d'années? Quand est-ce qu'il avait oublié le simple mot qui avait autrefois fait sa journée? Jusqu'où avait-il sombré pour oublier le centre de son univers?
— -Ew. J-Je v-voulais f-fuir m-mais il a p-pris la pe-peluche et...
Et juste comme ça, le monde repris son cours, le temps repris contrôle et la conséquence de l'explosion rattrapa Matthew en une pulsation déchirant sa tête.
Laissant sortir un grognement, il amena la paume de sa main sur l'orbite de son oeil droit et appuya en un effort de calmer les joueurs de tambours dans sa tête ou son pouls hurlant dans son crâne.
— C'est- , il ferma les yeux pour combattre la migraine, C'est pas grave Ethie-, il stoppa net, clignant des yeux et fixant le vide devant lui, surpris des mots sortant de sa bouche, Je-
Une main se referma sur sa gorge et les mots moururent à la souche. Il se contenta de se pencher et ramasser l'ours en peluche oublié à terre. Il l'épousseta d'un mouvement et le fixa, perdu dans ses pensées puis le tendit vers Ethan.
— Tien.

Malgré l'iconographie et toute la symbolique accompagnant les ours autours de leur famille, Matthew devait avouer que le moment que l'ourson quitta sa main, il sentit un vide dans ses mains. Malgré tous les souvenirs traumatisants, malgré la douleur et les cauchemars, la peluche avait été là où son père ne l'avait pas été. Et bien qu'elle ne lui rappelait que des souvenirs amers ou douloureux, il ne se sentait jamais vraiment à l'aise quand sachant qu'elle était proche. Cette maudite peluche le suivait depuis près de 10 ans, et même s'il la savait chez son vraie propriétaire, ça ne lui enlevait pas le sentiment d'être manquant sans. C'était si idiot en vrai... Un homme adulte incapable de vivre sans la peluche du frère qu'il a tué...
Pathétique.
Fourrant ses mains dans les poches de ses jeans pour éviter qu'elles n'en fassent qu'à sa tête —comme trembler—, il tourna le dos à son jeune frère afin d'observer les lieux, chose qu'il n'avait point fait en arrivant, bien trop occupé à voir mauve. Ils n'étaient pas situés si loin de leur domicile, dans une ruelle retirée de la grande rue et inutilisée en temps normal. Il y avait encore une trace de sang au sol appartenant au batard, projetée lorsqu'il y avait eu contact avec son poing. Un nez cassée, assurément, pensa Matthew avec satisfaction. Ouais, il méritait pas mieux. Baissant ses yeux, encore davantage sur le violet que leur bleu glacial habituel, il constata le dommage sur son propre membre : ses jointures avaient fendus et l'adrénaline de la situation ne lui en avait pas informé. Ce n'était pas ses premières
—oh, grand dieu, non ce n'était pas ses premières—, ainsi il fixait le sang s'écoulant lentement le long de sa main avec un regard fatigué.
Est-ce qu'il reste des bandages à la maiso-
Il stoppa net.
Il y avait quelque chose sur sa tête. N'osant pas trop bouger de peur de le déloger, il adressa un regard inquisiteur à Ethan, car vraisemblablement c'était lui le coupable, il n'y avait personne d'autre dans l'allée.
— Il m'a dit qu'il voulait rester avec toi.
Matthew se retint de flancher lorsqu'il observa la fuite de son frangin, sûrement à cause qu'il avait peur de représailles. Pas qu'il lui en voulait, il ne comprenait même pas comment il faisait pour supporter rester en sa présence...
— ... Est-ce qu-que t-tu v-vas bien? P-Promis j-je n-ne s-sors pl-plus sans t-te prévenir...
Amenant une main sur sa tête afin d'y attraper la peluche de sa main non meurtrie, de peur de tâcher l'ourson, il ramena le nounours devant lui et fixa ses petits yeux noirs, silencieux quelques instants.
— T'inquiète Ethan, c'est rien, il cacha sa main sanglante derrière son dos, instinct encore bien présent lui dictant de ne pas inquiéter le plus jeune, J'ai euh..., il écrasa un peu la peluche sous l'incapacité de placer ses mots, anxieux et mal à l'aise, Tu veux... Je, il amena son regard vers le sol. Comment est-ce qu'une chose autrefois si simple pouvait-elle être aussi difficile maintenant? "Veux-tu aller te changer les idées? Je sais pas moi, une crème glacée? Tout ce que tu veux!" Voilà, simple! Et pourtant les mots mourraient dans la gorge du mécanicien alors que son cerveau lui hurlait qu'il avait pourtant perdu le droit de demander quoique ce soit au benjamin.
— J'ai vu un de ces magasins de bouffe de rue un peu plus loin tantôt quand je te cherchais et euh..., il avala sa salive, J'ai quelques dollars sur moi encore de ma dernière job... je crois...?

C'était un petit pas, certes, mais Matthew était prêt à en faire des milliers- non, des milliards, tout ce que le plus jeune demanderait, il ferait du mieux qu'il pourrait.

Matt scannait autant le visage de son frère, de peur de voir un refus total sur son visage, qu'il le fuyait, comme si échapper à son regard pouvait lui permettre d'allonger le moment d'incertitude, se mentir en ignorant que le moment viendrait où Ethan lui dirait non et s'enfuirait, le laissant seul.

Car c'était toujours comme ça, non?

Matthew Griffiths était un être voué à finir seul.
Sa mère.
Son frère.
Son Père.
Sa Soeur.

Mais Matthew était une personne égoïste, incapable d'admettre ses tords, et ça avait toujours été comme ça. Car s'il pouvait se mentir assez fort, peut-être qu'il finirait par se convaincre du faux. Et s'il était convaincu, c'était toujours plus simple de mentir à autrui.
— J-J-aimerais b-bien, m-mais j-je ne p-peux p-plus f-faire ça. J-je suis mo-...
L'Anglo-Américain se retint de flancher, un frisson lui parcourant l'échine malgré que le mot avait été interrompu.
"Je suis Mort."
Oh, si Matt était quelque chose ( autre qu'intelligent comme l'aurait voulu son père, un bon frère comme l'aurait souhaité Ethan Et quelqu'un d'autre ou un merveilleux fils comme ce qu'assurait sa mère ) c'était adepte à fermer les yeux et se boucher les oreilles, crier plus fort que les autres jusqu'à s'en écorcher la gorge jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien.

Et s'il devait gueuler contre la réalisation que son frère était là, mais mort?
Alors sa gorge ne suffirait pas, donc c'étaient ses poumons qui prendraient la relève.
— ...E-Et j-je n-ne v-veux p-pas ut-utiliser t-ton co-corps...
Ethan ne savait donc pas que Matthew lui donnerait tout? Qu'il fixait son plafond, quelques soirs (tous les soirs), en s'imaginant que peut-être la vie aurait été mieux si c'était lui qui était mort, si c'était lui qui avait eu la tête écrasée par ce foutu animal en cage? Ne savait-il pas que prendre son corps était la moindre des choses quand Matt lui avait volé son enfance?

Mais pour le moment il garde tous ses secrets pour lui, enfermés à jamais dans sa tête et voués à ne jamais ressortir. Il se contente de suivre son benjamin alors que ce dernier s'avance dans la ruelle, un peu hésitant, un peu discret, sans bruit dû à son incorporalité. Le sourire à moitié accompli suffit à voler l'air des poumons du plus vieux bien plus efficacement que n'importe quel coup au ventre.
— O-On p-p-peut...V-visiter l-le musée ?
Et la main tendue.
Symbolique?
Certainement.

Mouvement si contraire à leur dynamique habituelle, elle choqua le jeune adulte si fort qu'il en oublia sa main meurtrie, auparavant cachée proche de son corps. Il attrape, doucement, un peu inquiet qu'un simple mouvement suffisse à faire dissiper l'illusion, la petite main translucide d'Ethan, preuves de sa vitalité s'écoulant lentement le long de ses phalanges en un sillage écarlate.
— Ouais- Euh... Ouais bien sûr.

Matthew fut capable de capter le moment précis où les yeux de son frangin croisèrent la rivière écarlate tâchant ses jointures car Ethan devint plus pale, plus pale que pale, plus pale que transparent. Se retenant de flancher et retirer sa main de la faible poigne que possédait Ethan sur son membre avec toute sa volonté - il ne voulait pas faire fuir le plus jeune avec un mouvement sec alors que c'était le seul toucher que les deux avaient depuis... Depuis -, il se contenta de détourner le regard afin de ne pas croiser les yeux du plus jeune.
— ....M-m-m-atthew, t-tu es bl-blessé ? O-on n-ne p-peut p-pas v-visité l-le m-musée c-comme ça !
Écarquillant les yeux en une mine un peu paniquée, il ouvrit la bouche afin de rassurer son frère et de l'assurer que sa petite blessure ne serait pas un problème, mais l'expression sur le visage d'Ethan lui coupa les mots avant qu'ils ne sortent.
— ...J-Je s-suis d-désolé, c-c'est en-encore de m-ma faute. S-S-sans m-moi, tu-tu n'aurais p-pas eu b-besoin d-de t-te b-battre, n-ni d-de t-te faché. P-Pardon , t-tout est t-toujours de  m-ma faute.
Les larmes s'écoulant des yeux du plus jeune eurent l'effet d'un coup de couteau dans le ventre de l'ainé. Il ne se souvenait même plus de la dernière fois qu'Ethan avait pleuré pour lui, et non à cause de lui, mais il était incapable de supporter ça, les sanglots s'échappant des lèvres du jeune Griffiths une oscillation de la lame dans la plaie encore béante.
— O-on r-rentre à la m-maison. J-je c-crois qu'il r-reste d-des b-bandages. O-on ira au m-musée une a-autre f-fois.
Paniqué et sans mot, Matthew cherchait, alarmé, une chose pouvant réconforter son frère et ainsi le convaincre de continuer sa sortie au musée. Ses yeux tombèrent sur la peluche encore dans sa main non meurtrie.

...

Il hésita deux milli-secondes avant de la soulever devant Ethan, en partie pour cacher ses joues devenant rapidement aussi rouge que son sang, et de l'autre afin de mieux jouer le jeu.
— Ma-Mais Ethan! Je voulais vraiment voir le musée!, il toussa un peu, très peu habitué de jouer la voix aigue de l'ourson, il ne l'avait pas fait depuis qu'Ethan était petit - ou enfin, plus petit - et sa propre voix avait bien changée depuis, Je suis jamais allé dans un musée, ça doit être si c-cool!
Et Matthew qui tournait fermement la tête en un effort vain de cacher la chaleur s'étant propagée à travers son visage sous la honte de jouer un ourson en peluche comme il l'avait fait lorsque Ethan avait 5 ans et lui 14, avant tout ça. Il rajouta, de sa propre voix, murmure à peine audible,
— Et puis euh... Je peux passer à la pharmacie acheter des pansements...
Murmure encore plus silencieux, rajouté un peu à contre coeur,
— C'est la première fois que tu veux faire un truc avec moi Ethan je...
Tu me manques, ne dit-il pas.