Led through the Mist By the Milk-light of Moon [FT. Diego P.]

La forêt, un lieu bien étrange aux yeux de Diego. Ce dernier respectait la différence. Pourtant, un endroit où vivaient essentiellement les créatures était empreint d’une certaine singularité. Sans porter aucun jugement de valeur sur ses habitants, il s’agissait d’une zone de Weirdtown où il ne s’aventurait que rarement, et était généralement accompagné ; comme en ce jour d’ailleurs. Le jeune policier observa discrètement son partenaire, Rigel. Il ne semblait pas avoir peur, c’était bon signe. Telle était leur mission commune : retrouver une personne disparue dans les bois, vraisemblablement perdue. Après tout, n’était-il pas facile de se perdre en ces allées où tout se ressemblait ? Et c’était sans compter le brouillard et le temps aléatoire. En ce jour, il faisait plutôt froid. Le jeune homme sentait une certaine humidité dans l’air, comme s’il allait pleuvoir. Rompant le silence depuis leur arrivée en ces lieux, Rigel parla le premier. Le policier acquiesça.

« C’est exact. » répondit Diego, « Harald est un homme de grande taille avec les cheveux blonds. » il croisa les bras, « Je pense que nous n’aurons aucun mal à le reconnaître. À part les scouts, rares sont les humains s’aventurant dans les parages. »

Diego ne savait pas très bien par où commencer. La forêt recelait de mystères. Cela attisait autant sa curiosité que cela le poussait à la prudence. Le policier n’était pas dans son habitat naturel ici, et était sans doute bien moins à l’aise que son partenaire. Pourtant, il ne pouvait pas refuser une telle mission. En cela la compagnie de Rigel avait quelque chose de rassurant. Au moins, il n’était pas seul. Il hésitait. Peut-être devaient-ils se rendre tout d’abord chez les scouts au cas où ces derniers auraient des informations sur le disparu ?

« Tu m’as dit que tu avais plus l’habitude que moi de t’aventurer dans la forêt il me semble ? J’ai l’impression que brouillard se lève, il vaudrait peut-être mieux que tu mènes la voie. » il marqua une pause, « Navré, je risque de ne pas être d’une très grande utilité ici. »  

Il restait évidemment ici pour le protéger si le besoin s’en faisait ressentir. Mais de quoi ? Qui étaient les plus malveillants ici entre les créatures et les humains ? Toujours était-il que l’ironie était grande. Bien qu’il n’éprouvât aucune animosité particulière envers les créatures, il n’était pas particulièrement à l’aise à leur contact, contrairement à son partenaire ; ignorait-il jusqu’au fait que Rigel fût lui-même une créature. Hors du travail qui les liait, Rigel et Diego avaient eu quelques discussions sympathiques. Le simple fait que son partenaire vînt de Norvège et conservât un certain nombre de souvenirs avait su éveiller sa curiosité. Diego avait toujours été fasciné par ce monde extérieur, sans pour autant oser faire le pas décisif pour le moment. Il se demandait en outre si cet endroit lui rappelait son chez lui. En fin de compte, ils ne se connaissaient pas vraiment.

« Ne trouves-tu pas ça étrange ? » murmura-t-il, « Qu’un humain peu habitué des lieux vienne ici non-accompagné je veux dire ? »

Quelque part, c’était risqué. La preuve étant qu’ils avaient été dépêchés pour retrouver le principal intéressé. Diego espérait qu’Harald fût sain et sauf. Une dernière question lui brûlait les lèvres.

« C'était comme ça, chez toi ? »

La dernière question de Diego était empreinte d’une certaine naïveté ; la naïveté d’une personne jamais sortie de Weirdtown. Aussi écoutait-il les propos de son coéquipier d’un air attentif. Il essayait de se représenter visuellement les forêts de Norvège, en vain. La seule forêt qu’il connaît est celle-ci, était-il difficile pour lui d’imaginer des bois ne cherchant pas à piéger ses visiteurs. Ce n’était pourtant pas le doute face aux propos de Rigel qui appauvrissait son imagination. Diego n’avait tout simplement rien connu d’autre. Il était en outre bien heureux que quelqu’un pût lui conter des histoires sur le monde extérieur, et son coéquipier venait une fois de plus de lui donner des informations d’une précision étonnante. Il n’était pas comme son père, qui évitait sans cesse le sujet. Les quelques réponses qu’il avait obtenues de sa part avaient été bien trop vagues, comme si lui-même perdait la mémoire. Rigel subirait-il le même sort s’il restait aussi longtemps ici ? Souhaitait-il rentrer chez lui ? Plus le temps passait, plus le jeune homme avait l’impression que certains sujets étaient presque tabous à Weirdtown – à tort ou à raison. Sa ville était décidément pleine de mystères.

Mais à quoi ressemblerait donc une autre forêt ? S’il s’y aventurait, ne ressentirait-il pas la même méfiance qu’ici, comme un réflexe inné ? Tant de questions restaient sans réponses à ses yeux. Au moins savait-il qu’il pouvait parler librement en compagnie de Rigel, ce dernier étant loin d’un esprit fermé. Diego aurait bien eu envie de visiter ce pays également, la Norvège. En d’autres circonstances, sans doute aurait-il fait part de ses envies à son interlocuteur. Pour l’heure, ils devaient rester concentrer sur leur mission.

« Je pense que ce doit être lui. » affirma Diego, « De toute manière, il n’y a qu’un seul moyen de le savoir. »

Oui, ils n’avaient guère le choix ; il leur faudrait s’enfoncer dans la forêt tôt ou tard. Le policier saluait l’œil attentif de son coéquipier, qui avait bien fait de venir pour cette enquête. Il avait toutefois eu un léger doute, à peine perceptible dans sa voix ; on avait omis de lui préciser qu’Harald était un homme corpulent. Néanmoins, la probabilité qu’une autre personne se fût perdue dans la forêt au même moment était faible. Puisqu’ils étaient deux humains à s’aventurer dans la forêt – du moins le pensait-il – il leur faudrait être particulièrement prudents. Ils pourraient être la cible de créatures hostiles, sans oublier le chasseur. Pourtant, Diego n’avait pas peur. Tant qu’ils restaient sur leurs gardes sans se séparer, l’opération devrait se dérouler sans grandes encombres, enfin l’espérait-il.

Saisissant une petite branche et une pierre, le policier vint les placer au milieu du chemin. Serait-il utile de préciser à Rigel ses intentions ? Sans doute les avait-il déjà devinées. Il s’agissait de marqueurs leur permettant de retrouver leur chemin. Il espérait que la forêt ne serait pas suffisamment maligne pour ruiner cette stratégie, auquel cas ils seraient forts embêtés.

« Prudence, il ne faudrait pas nous perdre nous aussi. » conseilla-t-il.

Au moins les traces étaient-elles fraiches, ce qui signifiait qu’ils n’auraient sans doute pas à s’aventurer trop loin dans les bois. Sur ces mots, le policier fit le premier pas dans la forêt.

En s’enfonçant dans la forêt, le policier commençait à se tendre. Il n’avait jamais été particulièrement à l’aise dans cette partie de Weirdtown, qu’il considérait dangereuse. Tout comme il n’avait jamais été réellement à l’aise avec les créatures, ignorant une fois de plus tout de la véritable identité de Rigel. En réalité, il n’aimait pas cet endroit, cette forêt farceuse défiant toute logique. Tout ce qu’il espérait, c’était qu’ils ne se perdissent guère en retrouvant l’homme qu’ils cherchaient. Dans le cas contraire, ils seraient fortement embarrassés. Le jeune policier marchait d’un pas lent, observant les broussailles alentours, écoutant les bruits de la végétation. Il avait un drôle de pressentiment mais ne souhaitait pas alarmer inutilement Rigel sans la moindre preuve ; Diego avait tout de même sa fierté et ne souhaitait guère se faire passer pour un froussard.

Diego se retourna légèrement lorsqu’il sentit que son partenaire lui attrapa le bras. Mauvais réflexe ? Peut-être. Toujours était-il que Rigel confirmait ses soupçons : ils étaient bel et bien suivis. Le cœur battant, Diego ne pouvait pas imaginer ici l’action d’une personne bienveillante. Il jeta des regards furtifs autour de lui, s’attardant sur la direction du camp des scouts. Ils n’étaient pas très loin et ces derniers pourraient leur apporter de l’aide dans cette mission. Venir les voir était la décision la plus logique aux yeux du jeune policier, qui espérait que la personne les suivant n’eût pas la folie de passer à l’attaque avant qu’ils n’atteignissent leur objectif.

« Allons chez les scouts. Ils auront peut-être des informations et avec un peu de chance, on arrêtera de nous suivre. »

Oui, c’était la solution qui lui semblait être la plus sûre compte tenu des circonstances. Jetant un coup d’œil à son partenaire, le policier constatait que Rigel ne perdait pas son sang-froid, à son grand soulagement. Il devait admettre que son partenaire l’intriguait sur bien des aspects car il semblait avoir beaucoup d’expérience pour son âge. Le temps n’était toutefois pas venu pour les questions… Il se raidit soudain en entendant une voix derrière eux.

« Hé ! Que faites-vous là ? »

Diego se retourna pour faire face à une créature – facilement reconnaissable à ses écailles – qui ne paraissait guère amicale. Par réflexe, il se mit devant son partenaire. Après tout, il était policier et c’était de son devoir de le protéger durant cette mission. Faisant face à l’inconnu, il parla de la voix la plus calme possible.

« Nous ne sommes que de passage. Nous cherchons un homme qui se serait égaré dans la forêt, l’auriez-vous vu ? »

La créature allait-elle les aider ou au contraire les chasser ? Diego restait sur ses gardes.

Deux humains au milieu de la forêt, il était évident qu’ils se feraient remarquer. Pourtant, le jeune policier ne comprenait pas l’hostilité manifeste de la créature. Pire encore, il la trouvait complétement injustifiée. Après tout, ils ne faisaient rien de mal, et avaient simplement été envoyés pour retrouver une personne qui s’était égarée. Les créatures pouvaient circuler librement au milieu des humains, pourquoi l’inverse serait-il différent ? Cette constatation ne faisait que renforcer sa méfiance envers l’inconnu. S’il savait que certains humains pouvaient se montrer malveillants vis-à-vis de la différence malgré la cohabitation de personnes bien différentes au sein de la même ville, il se doutait que cela devait être de même du côté des créatures. Mais pourquoi cette haine ? Ils devaient bien se rendre compte que cela ne mènerait à rien. Diego ne bronchait pas, toujours entre son partenaire et la créature, craignant que cette dernière ne passât à l’attaque. Devrait-il sortir son arme ? Il espérait ne pas avoir à le faire. Le policier restait sur le qui-vive, mais n’esquissait aucun geste dangereux, pour ne pas donner la moindre opportunité à la créature de se sentir menacée.

C’est alors que quelque chose d’inattendu se produisit. Le jeune homme entendit un bruit derrière lui. Un bruit venant de son partenaire et qui n’avait rien d’humain. Tournant légèrement la tête en adressant un regard interrogateur à Rigel, Diego mit un temps à comprendre ce qui se passait. Après un mélange entre ce qui semblait être un grognement et un cri aigu, l’autre créature sembla renoncer à son offensive. « Dégage de mon chemin, humain. » avait fait le naga avant de le pousser de son épaule. Le policier n’avait bien sûr pas vu l’arme dissimulée et était loin de se douter de la catastrophe qu’il venait sans doute d’éviter. Essayant de ressasser la scène qui s’était déroulée sous ses yeux, toute son attention était focalisée sur Rigel, qui lui avait adressé un regard coupable avant de reprendre son chemin. Pourquoi ? Qu’avait-il à se reprocher ?

« Attends. »

Le jeune homme avait posé la main sur l’épaule de son coéquipier. La curiosité était bien un trait de caractère de Diego – pour le meilleur comme pour le pire – à tel point qu’il semblait plus intéressé par son partenaire que sur l’hostilité de la créature. S’il avait hésité avant d’interpeller Rigel de peur de le mettre dans une position inconfortable, il voulait savoir ce qui s’était réellement passé. Weirdtown avait beau être la ville de l’étrange, Diego n’était pas dupe. Rigel n’était pas une personne ordinaire. Pour le policier, deux phénomènes pouvaient expliquer tout ceci. Son partenaire pouvait être atteint d’une quelconque bénédiction ou malédiction, à moins qu’il ne fût lui-même une créature malgré les apparences. S’il y avait d’autres explications à ce qu’il avait entendu, il ne les voyait guère pour le moment.

« C’était quoi, ça ? »

Diego s’était efforcé de parler d’une voix douce. Si Rigel ne lui avait jamais parlé d’une quelconque aptitude, il devait sans doute avoir une bonne raison. Il espérait ne pas l’acculer. Si son coéquipier ne souhaitait pas parler, il ne le forcerait pas. Tout de même, il aimerait avoir une réponse.

Il y avait quelque chose d’étrange chez son coéquipier, Diego le sentait. Plus étrange que les autres habitants de cette ville ? Peut-être pas. Néanmoins, il sentait que Rigel lui cachait quelque chose. Était-il une créature ? Un béni ? Ou au contraire un maudit ? Le policier avait senti son partenaire se raidir. Nul doute que la question était malvenue, ou tout du moins que Rigel n’était pas encore prêt à répondre. Pourtant, Diego n’entendait aucun défi dans le ton de son interlocuteur lorsqu’il tourna la tête vers lui, il semblait même plutôt las. Rigel lui promettait ainsi une explication à la fin de leur mission. Devait-il insister ? Son intuition lui soufflait que ce fût une mauvaise idée, que son coéquipier risquerait de se braquer s’il agissait ainsi. Diego avait beau être policier, il ne souhaitait pas donner l’air de faire passer un interrogatoire, pas plus qu’il ne voulait mettre Rigel mal à l’aise. Ainsi donc, il acquiesça, notant bien tout ceci d’un coin de la tête ; il se souviendrait bien sûr de lui reposer la question à la  fin de leur mission.

Ils se remirent ainsi en route, Diego observant de temps à autre son coéquipier du coin de l’œil. Ce dernier semblait étrangement silencieux suite à cet incident. Un silence que le policier se gardait bien de briser. Ils arrivèrent ainsi devant la cabine des scouts et Rigel frappa la porte. Lorsque le scout ouvrit, Diego fit un pas en avant, s’apprêtant à prendre la parole.

« Je peux vous aider ?
- Nous cherchons un homme qui se serait égaré dans la forêt, un certain Harald. » sous le regard interrogateur du scout, il poursuivit, « C’est un homme grand et blond, assez corpulent. Il viendrait du quartier caucasien. L’auriez-vous vu ? »  

Remis de ses émotions de l’incident avec la créature, Diego s’était à nouveau concentré sur la mission du jour. Alors qu’il observait le scout prendre un air pensif, le policier se dit que la piste était froide. Visiblement, ce nom ne lui disait rien. Néanmoins, le regard de son interlocuteur finit par s’illuminer et Diego reprit espoir.

« J’ai aperçu un homme correspondant à votre description qui s’est aventuré dans les parages. » le scout marqua une pause, « Attendez-moi ici le temps que je rassemble mes affaires, je vais vous conduire au dernier endroit où je l’ai vu. »

Échangeant un regard avec Rigel, Diego se dit que c’était bon signe. Avec un peu de chance, ils arriveraient bien vite à trouver Harald et à le ramener en lieu sûr. Bien que son coéquipier connût la forêt, l’aide du scout serait d’un atout non négligeable. En attendant sa venue, ils étaient tous les deux seuls. Devait-il en profiter pour le questionner sur ce qui était arrivé précédemment ? Non, c’était sans doute une mauvaise idée. Le policier se mura ainsi dans un silence gêné.