Noyade en eau douce - HitoshiSam 18 Mar - 10:57
On m'avait appelé pour une histoire sordide, le genre de choses auxquelles je n'étais pas souvent confronté à Weirdtown. Pas souvent ? Jamais aurait été plus exact, la description de l'affaire en question faisait hérisser mes rares poils du dos et j'avais réprimé un mouvement instinctif qui m'aurait poussé à vomir le contenu de mon estomac sur la scène du crime.
Un crime. Une pareille chose n'arrivait jamais à Weirdtown et pourtant, cela m'était vaguement familier. C'était comme s'il y avait dans cette mise en scène sordide, l'emplacement de ce corps vaguement dégonflé par la rivière, ces coups de couteau répété dans cette chair un air de « déjà vu ».
J'activais le bouton du dictaphone, y exprimant quelques mots à haute voix « cadavre, noyade, meurtre » afin de réactiver les quelques neurones de la mémoire qui me restaient mais rien. Je devais confondre avec autre chose, mais quoi ? La scène était édifiante, si confusion il y avait, elle devait être avec quelque chose d'aussi impressionnant, mais Weird Town était une ville paisible (avec ses étrangetés, certes, mais une ville très calme où il faisait bon vivre).
L'examen du corps ne m'apporta pas grand chose de plus si ce n'était quelques détails que j'aurais pu rater en m'en éloignant aussitôt. Il manquait deux dents à la victime, mais cela ne semblait pas dater d'hier (les cicatrices étaient propres et la bouche aseptisée, si on oubliait le milieu d'où il venait). Sur son corps, sous ses vêtements, j'observais de multiples traces de couteau : cinq, très exactement. Des empreintes très nettes, précises, me faisant me demander si la victime n'était pas inanimée au moment de l'action. Peut-être morte, mais l'autopsie nous en dirait plus, si un médecin acceptait de se charger de ce cas.
Je pris quelques photographies dans divers angles : la disposition exacte du corps ainsi que le lieu où nous l'avions trouvé ainsi que divers détails : les coups de couteau, sa coiffure et son teint livide, témoignant d'un séjour plus ou moins long sous l'eau. Je ne savais pas si nous aurions un jour une chance de retrouver le meurtrier de ce John Doe. Il avait été largement isolé de la population et les potentiels témoins interrogés autour avaient tour à tour déclarés qu'ils n'avaient rien vu, ni de jour ni de nuit, tout en ayant l'air très étonné qu'une telle chose ait pu se dérouler par ici.
Moi-même, j'en restais stupéfait.
Ma route me mena vers un lieu que je n'avais pas fréquenté depuis longtemps. D'abord patient contre mon gré, j'avais été amené à fréquenter cet homme contre mon gré. Je lui reconnaissais une intelligence précoce et même si dans mon cas, ces séances ne m'avaient rien apporté, j'espérais au moins qu'il m'aiderait à démêler les fils bien enroulés de mon enquête.
La porte était toujours la même et d'un geste instinctif, j'éteignis le dictaphone (je venais de le faire réparer) et le mit dans ma poche. C'était comme si je ne voulais pas qu'il me prenne pour fou, alors que j'avais si bien réussi, quelques années auparavant, à mettre un point final à ces séances agaçantes. Le psychologue était un homme qui m'impressionnait un peu, mais c'était quelque chose que je ne lui dirais jamais. D'ailleurs, alors que je poireautais dans la salle d'attente, n'osant pas frapper à la porte, j'angoissais un peu.
Et s'il me posait des questions sur ce que j'étais devenu, sur mon ex femme, Clothilde ? Et si il me jugeait ? J'essuyais vite ces considérations, décidant que je n'en avais plus grand chose à faire. Soupirant (un cadavre était plus important que les soucis de toutes ces personnes – un petit monsieur me fusilla du regard, à croire qu'il venait de deviner ce que je m'apprêtais à faire), je me levais de nouveau et allai toquer à la porte.
Le temps nous pressait.