Welcome to the Shadow-fari

J’ai besoin de faire une pause. Une vraie. Pas seulement de boire un café entre deux expériences, ou un verre – ou deux – ou trois – le soir jusqu’à tomber de sommeil. J’ai besoin d’une pause dépaysante, pour forcer mon esprit à déconnecter. Et quoi de mieux que le parc safari pour cela. Une balade au milieu d’animaux exotiques, me permettant d’observer à la fois ces créatures et les autres visiteurs. J’ai toujours aimé laisser traîner mes yeux pour voir comment se comporte les autres personnes en société. Et souvent, mon esprit finit par se perdre, à imaginer des vies fictives à tous ces gens. Cette habitude m’a déjà apporté des problèmes avec des personnes qui se sentent observées trop longtemps, un peu trop intensément. Et je peux les comprendre.
Le parc safari ne se trouve pas très loin de mon pied-à-terre, et c’est les écouteurs toujours visés aux oreilles que je m’y dirige d’un pas tranquille, sur le rythme de Skindred.

♫ Big tings running through my mind
I think about them all the time
I'm gonna do my ting the way I wanna do it
And everything will be alright ♫

Arrivée à l’entrée du parc, je retire mes écouteurs et mon esprit se recentre sur mon environnement. J’ai mal choisi mon heure, car une file d’une dizaine de personnes s’étend devant moi, et d’autres visiteurs ne tardent pas à se placer derrière moi. La population n’est pas très diversifiée aujourd’hui, elle est constituée essentiellement de familles avec de jeunes enfants. Là, une mère tente de garder ses deux filles près d’elle sans grand succès, la plus jeune étant plus intéressée par la tête d’une girafe dépassant derrière la clôture. Là-bas, grand-père et grand-mère gardent une ribambelle de petits-enfants, lesquels courent et crient tout autour d’eux sans qu’ils ne semblent le remarquer. Et devant moi, un bébé dans une poussette semble fasciné par le chien situé non loin de moi, sans donner le moindre intérêt à ses parents qui lui parlent d’une petite voix irritante. Le chien, lui, semble accompagner un jeune enfant à lunettes, qui m’a l’air… Seul.
En temps normal, je me serais inquiétée pour lui, mais j’ai fini par comprendre qu’à Weirdtown l’âge physique n’a aucune importance. Mon tour arrive enfin pour payer mon entrée et de signer la traditionnelle attestation sur l’honneur, certifiant que l’on a conscience des dangers encourus en pénétrant au sein du parc safari. Si tous les parents autour de moi avaient pris le temps de lire ce papier, ils n’emmèneraient pas leurs enfants dans ce lieu comme ils les emmèneraient au parc d’attraction.

Et ça y est, ma balade peut recommencer. Les mains dans les poches de ma veste, je flâne de zone en zone, m’accoudant de temps à autre à une barrière lorsqu’un spectacle intéressant s’offre à moi. Je sens que Sinister est particulièrement agitée, aujourd’hui. Mon Ombre a tendance à alterner entre des périodes de calme et d’autres plus agressives. Peut-être que la venue dans un endroit où la plupart des êtres sont guidés par leur instinct n’était pas la meilleure idée du siècle. Mais il est maintenant trop tard pour s’inquiéter de cela, je suis venue au parc pour me ressourcer, alors autant en profiter.
Autour de moi, les enfants pointent du doigt les minotaures cohabitant avec les taureaux, alors que les parents commencent tout doucement à se rendre compte des risques que leur petit tête blonde encourrait si soudain l’envie prenait aux centaures, situés un peu plus loin, de sauter par-dessus la barrière. Un sourire au coin des lèvres, je m’apprête à sortir mon téléphone pour photographier les minotaures lorsqu’une voix d’enfant s’élève brusquement à côté de moi.


Alors que je tourne la tête vers la direction de la voix, je me fais renverser et tombe sur les fesses. Reprenant rapidement mes esprits, je me trouve face au chien que j’avais aperçu un peu plus tôt, qui tourne sa tête vers son jeune maître, comme attendant son approbation. L’animal se retourne ensuite à nouveau vers moi, me montrant ses crocs acérés.


J’écarquille les yeux, surprise d’avoir entendu le chien me parler. Moi qui pensais que plus rien ne pouvait m’étonner, depuis mon arrivée dans cette ville. Il faut croire que je n’ai pas encore fini de rencontrer des individus aussi étranges que moi. Je remets de l’ordre dans mes idées, me demandant comment j’ai pu me retrouver dans cette situation. Mais étant donné que le gamin a mentionné mon Ombre et que le chien doute de mon humanité, il n’est pas difficile d’imaginer que Sinister a été repérée. Ce qui m’étonne, car d’ordinaire peu de personnes font attention à l’ombre des autres.


Le chien rapproche son museau, menaçant. Je ferme les yeux, et réponds de manière plus franche.


Je rouvre un œil, et l’animal s’éloigne de moi, se replaçant aux côtés de son maître. Toutefois, j’arrive à voir dans leur regard que ma parole seule ne leur suffit pas.


Je me relève et époussette mon pantalon. Le chien m’a bavé dessus, mais je sens que m’en plaindre ne m’aidera pas. Je ne sais pas pourquoi je ressens autant le besoin de justifier ma situation, peut-être à cause du regard inquiet de l’enfant. Ne sachant quoi faire, je me dandine d’un pied sur l’autre, me demandant s’ils vont me laisser partir aussi facilement.