Un Dieu en commun || MùchénMer 17 Avr - 16:31
Elle ne comprenait toujours pas pourquoi ces coutumes lui étaient autant familières. A chaque fois qu’elle se posait la question, inéluctablement, elle revoyait la lumière, les couleurs oppressantes, puis le sang sur ses mains. Le tambourinement à la porte. Le poison lui brûlant la gorge. Elle frissonnait, se serrait elle-même comme pour chasser ce cauchemar qui avait tout de réel pour elle, le dernier souvenir de sa vie passée. Alors, comme pour conjurer ces démons, elle avait cessé de se poser la question. Elle embrassait sa nouvelle vie, parce que les vestiges du passé étaient bien trop douloureux et terrifiants pour elle à aborder. Elle se contentait de se rendre au sanctuaire dès qu’elle en avait l’occasion, rendre hommage à ces divinités étrangement familières et rassurantes.
Ce qui était dans le passé appartenait au passé. S’y éterniser ne ferait que piéger davantage son âme dans les regrets. Même si elle méritait d’expier pour ces crimes bien trop flous dans son esprit, elle préférait de loin enterrer les vestiges de sa mémoire.
Le vide était rassurant.
Comme à son habitude, elle n’avait parlé à personne ou presque en arrivant. Elle avait simplement salué avec déférence le prêtre officiant au sanctuaire, car là était sa place – le respect était une forme de vertu, et sans vertu, l’harmonie ne peut être atteinte. Mais sans vraiment se préoccuper des fidèles autour d’elle, elle s’était retirée dans un coin relativement calme du sanctuaire. Les pécheurs ne prient pas parmi les anges.
Agenouillée dans son petit coin, emprisonnée dans sa bulle de silence et de vide, Liánhuā n’avait qu’une seule ambition en tête. De tous les dieux qu’elle était venue prier au sanctuaire, elle s’était rendu compte que l’un d’entre eux n’avait pas d’effigie. Elle avait donc décidé de peindre un portrait de la divinité, hissé sur un petit autel en son nom. Même si le portrait n’était pas le plus détaillé ni le plus précis du fait de sa mémoire défaillante, elle espérait au moins que ses efforts le toucheraient. Elle était profondément affairée dans ses considérations – la longueur des cheveux était-elle la bonne ? Quelle couleur portait-il, déjà ? – qu’elle mit un certain temps à remarquer la silhouette penchée calmement au-dessus de son épaule.
D’un sursaut, Liánhuā se redressa, comme prise sur le fait en train de commettre un acte terrible. Elle s’inclina pour s’excuser, pressant son poing dans sa paume, évitant le regard de la personne qui venait d’arriver. Du coin des yeux, elle remarqua toutefois que le visage était familier. « Prêtre Wang, salua la jeune femme avec une certaine déférence, pardonnez ma réaction, je ne vous avais pas vu. » Sa voix trahissait son manque d’habitude aux interactions sociales. Elle parlait presque à voix basse, comme si elle risquait d’offenser l’homme face à elle en se montrant un peu trop bruyant. « Je ne souhaitais que rendre hommage à l’un de mes dieux, s’expliqua-t-elle rapidement, sans attendre que la question lui soit posée, si cela est source d’inconfort pour ce prêtre, cette humble Liánhuā ira ailleurs terminer son portrait. »