Time changed, we're different... - Feat Xião

C'est concentré qu'il note son numéro dans le téléphone de Xiao - ne le connait-il pas par cœur ? Lorsqu'il le récupère, il constate qu'un emoji a été rajouté à côté de son nom. Un nuage. Ca aussi, ça lui paraît familier… Comme s'il avait connu une personne semblable à un nuage. Un peu comme Kyô, finalement, avec ses cheveux cotonneux.

Comme suggéré par le grand dadais, Xiao lui envoie un SMS sitôt son téléphone récupéré. Un simple "C'est Xiao" suffira largement à ce que son interlocuteur sache qui il est.

« Je travaille rarement sur ce temps-là, alors c'est parfait, lui répond-il lorsqu'il lui propose de se voir lors de la pause méridienne. Le temps est un concept étrange, ici, Kyô l'apprendra vite, mais puisqu'il n'a jamais cours sur le temps des repas, cela lui permet d'à peu près se repérer. A peu près. Le temps s'écoule différemment, à Weirdtown. Je te préviendrais quand je serais libre. Ce sera plus simple ainsi.

Il semblerait que ce repas partagé soit loin d'être le dernier, s'ils se voient en milieu de journée. Xiao a l'habitude de déjeuner seul, dans son bureau ou sur le toit du commissariat où il est tranquille le temps de manger et de se reposer un peu. Parfois (souvent, même), il saute la pause repas. Cela lui fera bizarre de partager ce moment mais il sait qu'il s'y acclimatera rapidement.

Le tatoueur propose qu'ensuite, ils décalent à son shop.

- Il faut que je rentre nourrir mon chat. Une prochaine fois. Il laisse ensuite Kyô aller payer.

Kutsu aurait très bien pu attendre encore un peu, mais le policier doit bien avouer que sa boule de poils lui manque un peu.

- Mais je peux te raccompagner, ma voiture est garée devant.

Voilà qui devrait ravir Kyô - et Xiao à la fois, puisqu'il lui est donné la possibilité de revoir Chat. Tout pour les petits chats.

Comme supposé, partager du temps avec le policier réjouit Kyô, alors sa proposition de le raccompagner est accueillie avec entrain.

Sitôt sorti du restaurant, les deux intoxiqués s'allument une cigarette à l'aide du briquet de Xiao, et celui-ci ne tarde pas à constater la toux de son camarade. Pas encore habitué à la fumée ou problème de santé inhérent à son accident ? Quelle que soit la réponse, il n'en fait pas la moindre remarque et se contente simplement de consommer son propre bâton de nicotine.

Le chat roux vient à leur rencontre une fois arrivés devant le shop.

« Il y a peu de chances qu'ils se croisent un jour, Kutsu ne sort pas. Et j'habite dans un autre quartier, de toute façon. C'est une réponse très terre-à-terre qu'il donne, mais Kyô devra s'y habituer - et s'en satisfaire.

Alors qu'il s'accroupit pour écraser le bout de son mégot sur le sol et caresser Chat au passage, il entend soudainement un grand bruit, comme si quelque chose en avait percuté une autre. Ses sens en alerte, il redresse subitement la tête et aperçoit une voiture s'éloigner d'eux avec précipitation. Il en relève le modèle et la plaque par déformation professionnelle avant d'apercevoir Kyô étalé en plein milieu de la route. Son cœur rate un battement à cette vision d'horreur.

Ni une, ni deux, le voilà qui bondit à son secours après avoir fait s'arrêter la voiture suivante d'un geste de la main.

- Ca va ? lui demande-t-il tout en le tirant sur le trottoir avant de l'inspecter rapidement - il ne semble rien avoir de cassé, mais... Xiao est flic, pas médecin. Tu devrais aller te faire examiner à l'hôpital. J'ai relevé la plaque, si tu veux porter plainte.

Inquiet ? Oui, il l'est. Un peu. Mais ça ne paraît que brièvement sur son visage, qui redevient aussitôt aussi impassible qu'à l'accoutumée.

Bon. Le grand gaillard semble être en un seul morceau, effectivement. Il ne saigne pas, et semble avoir toute sa tête. Tout au plus risque-t-il d'avoir quelques bleus, donc rien de bien grave si, effectivement, il ne s'est pas vraiment fait tamponner par la voiture comme il semble l'affirmer.

« Tu ne dérangeras pas, fait-il en soupirant. C'est leur boulot.

Il ne le forcera pas à s'y rendre, tout comme il ne le forcera pas à porter plainte. C'est son dos - et puis, à sa place, il aurait fait exactement pareil. Toutefois, il le voit trembloter un peu malgré sa vaine tentative de le dissimuler, aussi le conduit-il à l'intérieur du salon une fois celui-ci s'étant emparé de son animal - en sécurité, dans un endroit qu'il connaît bien.

- Tu ne devrais pas le laisser sortir. Les voitures sont aussi dangereuses pour eux que pour nous, remarque-t-il tout en pointant l'animal du menton, sur un ton vaguement de réprimande.

Xiao se permet de passer derrière le comptoir et saisit la tasse aux oreilles de chat dont il avait eu l'usage plus tôt.

- Café ? lui propose-t-il en actionnant la machine.

Le policier cherche le sucre et, instinctivement, il en glisse quatre dans l'autre tasse vide, celle que Kyô avait utilisé un peu plus tôt dans la matinée. Comme s'il avait toujours su comment il sucrait son breuvage.

Une fois rassuré sur le sort de Chat, Xiao retourne à sa cafetière, dont il attend le remplissage avec une impatience toute mesurée. La mention des sucres lui fait approcher sa main de la boîte, avant qu'il ne se rende compte qu'il a déjà déposé quatre carrés dans une tasse. Comment sait-il comment Kyô sucre son café ?

Son mouvement stoppé un instant, il se ravise et se tourne vers le tatoueur, s'adossant par la même occasion au mur derrière le comptoir, bras croisés. Celui-ci lui explique que la pilule qu'il gobe est un antidouleur, ce à quoi Xiao hausse les épaules - il n'a pas à lui expliquer sa médication s'il n'en a pas envie, mais c'est toutefois ce qu'il fait. Ainsi apprend-il que c'est sa prothèse qui le blesse si portée trop longtemps. Il range l'information dans un coin de sa tête, juste au cas où.

Lui aussi connaît bien la douleur. Il a l'impression d'avoir souffert toute sa vie - du moins, de ce qu'il s'en souvient. Ca va, ça vient, c'est fort ou moins fort selon les moments... Il ne sait jamais quand ça va frapper, mais ça finit toujours par le forcer à devoir prendre une ou deux pilules pour la faire passer. Parfois, ça ne passe pas, et il ne peut qu'attendre dans son lit, dans le noir, qu'elle s'en aille, retenant des gémissements et des larmes de douleur.

Lui, ce sont surtout les articulations, en particulier du coude, du poignet et des doigts. A chacun sa peine.

Le café termine de couler dans le récipient, et il redirige son attention vers lui. Il le verse dans les deux tasses, un mince filet de vapeur témoignant de sa température s'en échappant, puis apporte la sienne à Kyô. Il a absolument pris ses aises sans rien demander, mais ça ne semble pas l'avoir gêné - bien au contraire, c'est avec un sourire qu'il est accueilli.

« Fais gaffe, c'est brûlant,le réprimande-t-il lorsqu'il constate que Kyô n'a pas attendu une seule seconde avant de commencer à boire. Il n'a vraiment pas envie de devoir gérer une blessure, pas maintenant.

- Je suis prof d'un peu tout et n'importe quoi. C'est ainsi, à Weirdtown. Il peut changer de matière chaque jour comme enseigner à trois niveaux différents sans que ça ne pose souci. C'est comme cela qu'il a pu devenir flic. J'enseigne surtout les maths et aux primaires. Il s'installe dans le canapé, puis souffle un peu sur sa propre tasse avant de la porter à ses lèvres. Encore un peu chaud, mais cela suffira. Pas plus difficile que n'importe quel autre job.

Xiao n'est vraiment pas à plaindre : avec lui, les classes filent plutôt droit. Il faut dire qu'il est peu commode, et qu'il fait un peu peur, avec ses devoirs et ses punitions...

Kyô rit, et c'est une expression qui lui sied à ravir.

« On ne choisit pas vraiment, ici, se contente Xiao en guise de réponse. Et c'est vrai : on pouvait totalement lui annoncer un changement de planning le matin-même, et le faire passer du lycée à la primaire sans qu'il n'ait son mot à dire. C'est ainsi que sont les règles, et il ne peut que les suivre. On s'y fait vite.

A sa tirade sur les enfants, le policier se contente d'acquiescer en opinant du chef, puis porte de nouveau la tasse à ses lèvres. Il ne va sans doute pas réussir à dormir tout de suite, avec autant de caféine dans le sang, mais tant pis ; il a bien de quoi s'occuper en attendant que le sommeil vienne.

- Les gosses de l'hosto devaient t'apprécier. T'as l'air d'un vrai clown quand tu le veux, lui sort-il sans tact aucun, comme pour venir contredire ses déclarations précédentes. Mais ce n'est pas méchant, et rien sur son visage ou son ton ne laisse transparaître la moindre perfidie. Au contraire, même : il arbore le fantôme d'un sourire en coin. C'est presque comme deux vieux amis qui se chamaillent et se raillent gentiment.

Vient ensuite la question du shop. Xiao a eu tout le loisir de l'observer lorsqu'il a pris des photos un peu plus tôt, et il ne peut que soutenir les dires de son interlocuteur : le shop est accueillant, chaleureux même. C'est sans nul doute l'intention de Kyô, et on peut dire que c'est réussi. D'habitude, le policier n'y prêterait pas attention, mais il doit bien avouer qu'il s'y sent bien. Sans doute aura-t-il l'occasion d'y revenir, au cours de l'une de leurs rencontres prochaines.

- On s'y sent à l'aise, confirme-t-il simplement, terminant son café. Il ne va pas tarder. Tes clients seront bien, ici. »

Kyô laisse éclater un rire guilleret à la mention du clown. Comment rester stoïque face à cette remarque, en même temps ? Xiao, pourtant, reste de marbre - ou, plutôt, il dissocie, mais c'est tout comme. Ce rire lui a déclenché l'apparition d'un souvenir. Flou, certes, et quasiment aussi brumeux que ce dont il se souvient de son ancienne vie… mais il en est sûr désormais : il connaît le tatoueur. Il ne se rappelle ni des circonstances de leur rencontre, ni la relation qu'ils entretenaient… mais cette fois-ci, il en est plus que sûr : ce rire, il l'a déjà entendu. Plus aucun doute n'est permis.

Il se revoit, assis dans un canapé, un grand individu à ses côtés. Il a sa tête posée contre son épaule, une voix trouble dit quelque chose qu'il ne comprend pas, il y a un blanc...

Et soudain, un rire. Ce rire.

- Je- Je dois y aller, fait-il en se levant subitement, ignorant toute la tirade sur la chaleur des lieux qu'il n'a, de manière évidente, pas entendue. Il est troublé, pour une fois ça se voit, mais il n'en fait pas mention et se contente de machinalement aller déposer sa tasse aux côtés de celle déjà rangée sur le comptoir.

- Merci pour le repas. On se recontacte plus tard. » lui fait-il avant de sortir quelque peu précipitamment du tattoo shop, laissant un Kyô sans doute plein de questions et, surtout, seul.

Il se rend rapidement à sa voiture, et prend un instant pour souffler. Il pose sa tête sur le volant, soupire profondément. Putain...

Il démarre et, sitôt la circulation le lui permettant, s'y insère pour se rendre au quartier caucasien, où se trouve sa propre maison. Il a besoin d'être seul, mais la présence de son chat parvient toutefois à le le réconforter.

Dans quoi s'est-il embarqué ?