caring for you | feat. kyô

Kyô est très franc avec lui, et lui confesse sa blessure avec détails. Il l'écoute attentivement tout en buvant son thé, c'est important.

Comme il s'en doutait, c'est bien son accident qui est à la cause de sa difficulté à fumer correctement. On ne choisit pas ses addictions (ou plutôt, on finit par les subir), et Xiao est très bien placé pour le savoir. Et puis, ça n'a pas l'air de l'handicaper tant que ça, d'après ses dires.

Il soupire malgré tout.

« C'est probablement pas la meilleure des idées de continuer à fumer, lui fait-il remarquer en jetant une oeillade à la cigarette de Kyô. Mais je comprends. C'est dur d'arrêter. Lui-même n'essaye même pas : il sait très bien qu'il est voué à l'échec avant même d'avoir commencé. Il est trop habitué au geste et à la sensation, il a besoin de sa dose quotidienne de nicotine pour avancer sereinement dans sa journée. C'est un bon anxiolitique.

Alors que Kyô se met à parler de son accident et de ses conséquences, Xiao finit par dissocier de nouveau, comme il l'a déjà fait quelques jours plus tôt. Ca commençait à devenir vraiment très étrange, ce qui pourrait devenir une habitude.

Lui aussi a perdu quelqu'un dans un accident. Son compagnon. Mari ? Lui aussi possède une alliance esseulée. Quand il lui montre la sienne, c'est fini : Xiao se perd dans un souvenir perdu qui lui revient subitement.

***
« Il est mort. Je suis navré.

La voix lui paraît froide, et lui se sentit complètement déconnecté de son corps. Dès lors qu'il eut appris la nouvelle, il accourut sur les lieux, avant qu'on ne le renvoie à l'hôpital le plus proche. Là-bas, on l'a fait attendre des heures, et des heures, et des heures... Jusqu'à ce qu'ils retrouvèrent tout le monde. Et qu'on lui annonça la terrible nouvelle.

Portant un anneau simple en or à l'annulaire, il s'effondra dans la salle d'attente. En pleurs.

***
Xiao a les larmes aux yeux quand il revient à la réalité. Et soudain, il tousse, et a l'impression de suffoquer : il a beau respirer, il lui semble impossible de faire rentrer de l'air dans ses poumons.

Il porte une main à sa poitrine, empoigne son pull, et essaye de respirer à nouveau ; en vain.

Comme il le pensait, arrêter la clope est trop dur pour Kyô. Il a vraiment tout essayé, songe-t-il avant qu'ils ne reparlent de l'accident.

Il dissocie, puis il a soudainement une crise d'angoisse. Kyô ne peut pas comprendre pourquoi, mais il n'en a pas besoin pour prendre aussitôt les choses en main et lui faire faire un exercice de respiration. Il reprend doucement pied, suivant les instructions du tatoueur d'abord machinalement, puis de manière plus consciente.

Le contact de sa main dans la sienne est rassurant et empreint d'une douce chaleur. Il ne se rend pas compte qu'il a lâché la tasse au début de la crise, et que celle-ci s'est fracassée sur le sol, éclaboussant le pantalon des deux hommes de thé tiède.

A peine a-t-il le temps de se calmer que voilà que Kyô le ramène au chaud à l'intérieur. Il rassure le chat, puis prend toute la faute sur lui. Visiblement, il n'a pas compris ce qu'il vient de se passer. Xiao, encore plus fatigué par l'angoisse qui l'a pris aux tripes, se rassoit sur le canapé, toujours un peu fébrile. Il tousse.

« Non, non, c'est... Il hésite un instant. Ca m'a rappelé un souvenir. Ce n'est rien, rajoute-t-il rapidement, comme s'il ne souhaite pas en parler - après tout, c'est suffisamment traumatique comme ça. Il se revoit encore effondré sur le sol de l'hôpital. Un frisson le prend, et il a du mal à déglutir.

Il ferme les yeux en soupirant, et se laisse aller contre le dossier du canapé. Il ramène ensuite ses genoux contre sa poitrine, regardant les débris de verre dehors. Je ne savais pas qu'on pouvait se souvenir comme ça, fait-il après un moment de silence, rouvrant les paupières. Il fixe le plafond, triturant son alliance du bout des doigts.

Cet endroit est vraiment étrange.

Différent... Xiao ne se sent pas différent. Il se sent malade, oui, mais c'est la grippe qui fait ça. Pas un quelconque don, comme semble le supposer son ami.

Mais il faut dire que c'est étrange, tout de même... Pourquoi est-ce qu'il n'a jamais entendu parler d'un phénomène similaire ? A Weirdtown, on oublie... Mais on ne se souvient pas. C'est la règle tacite dont tous semblent s'accomoder. Jamais il n'a entendu parler de quelqu'un qui pouvait se souvenir...

Et encore, son souvenir est diffus. Est-ce vraiment un souvenir, ou quelque chose dont il croit se rappeler ? La frontière est mince, mais la différence est importante. Il n'a aucun moyen de savoir si ce qu'il a vu est une vision, un flash-back, ou quelque chose inventé par son cerveau rongé par l'infection.

Il soupire, plaque ses mains sur son visage. Tout s'emmêle dans sa tête, et il ne sait séparer le vrai du faux. Il a mal au crâne.

« Je ne sais pas, avoue-t-il au bout d'un moment. Je ne compte en parler à personne. Ou, plutôt, il n'a personne à qui en parler. Les deux se valent.

- Je ne suis pas sûr de vouloir me souvenir, confesse-t-il franchement, abaissant ses mains pour les poser sur ses genoux. Il s'installe en tailleur, et Kutsu s'allonge sur ses cuisses. Après ce qu'il a vu... Non, il n'est vraiment pas sûr de vouloir se souvenir de sa vie passée.

Un sentiment de tristesse infini l'envahit. D'habitude, il n'en a que quelques fragments, mais là c'est différent. C'est comme s'il la ressentait puissance mille. Ses lèvres se pincent.

- J'essaierai de me renseigner, mais je ne garantis rien. » Peut-être trouvera-t-il quelque chose dans les archives de la police ? Ou alors...

Il a bien une idée. Une idée qui, pour tout autre, pourrait s'avérer affreusement stupide. Mais pour Xiao, il s'agit là de la solution la plus logique. La plus rationnelle. Il n'en parle pas à Kyô, peut-être ne lui dira-t-il jamais - il ne veut pas l'inquiéter, déjà qu'il semble l'être suffisamment.

Aujourd'hui était un jour bien étrange.

Il se doute bien de ce qui a déclenché ce souvenir, comme le lui demande Kyô. Après tout, deux hypothèses seulement lui viennent à l'esprit : soit c'est l'alliance qu'il porte à son doigt, soit...

« C'est arrivé quand tu as parlé des conséquences de ton accident, fait-il d'une voix fatiguée. Il passe toutefois son index dans sa propre bague et la soulève, la mettant en évidence, et continue. Mais tu m'as aussi montré ton alliance. Ca pourrait tout aussi bien être ça.

Les deux alliances se ressemblent, après tout. En voir une presque identique... Ca l'a un peu bousculé. Il laisse l'anneau retomber contre son torse, et se râcle la gorge.

- Sans doute.

Ou alors c'était un malheureux hasard. Mais ça, Xiao n'y croit pas. C'est trop étrange, cette coïncidence. Il y a forcément un lien entre les deux.

- Mais tu ne te rappelles pas de beaucoup de choses, lui rappelle-t-il, toutefois sans maléficience aucune. Trouver un nouveau déclencheur risque ainsi d'être un peu plus difficile, et puis Xiao lui-même ne se souvient pas d'énormément de choses, au final. Seulement des mauvaises, et il peut en rajouter une nouvelle à sa collection. Il soupire, passe sa main dans ses cheveux un peu sales et se gratte l'arrière du crâne, pensif. Peut-être que toi, tu pourras finir par retrouver tes anciens souvenirs.

Non, pour lui, la meilleure solution consiste encore à aller poser la question au boss de son quartier. Goosebump est effrayante pour nombre de gens ici, mais pour lui, il ne s'agit que d'une créature parmi tant d'autres. Etant la secrétaire du maire... En attendant son retour, oui, elle sera sans doute à même de lui donner, au moins, un semblant de réponse. Ou une piste, si l'envie lui prend. Car après tout... Ce n'est sans doute pas le premier à se poser la question du retour de ses souvenirs, et à sa connaissance, personne n'a obtenu de réponse.

Il soupire. Ca lui donne encore plus mal au crâne.

La mémoire de Kyô semblerait ainsi perdue à jamais... Il soupire, c'est vrai qu'il avait perdu ses souvenirs bien avant qu'il n'arrive à Weirdtown. Sont-ils perdus pour autant ? Il se passe des choses étranges, ici. Peut-être, un jour, trouver-t-il le moyen de recouvrer les vestiges de son passé.

Mais Xiao comprend totalement ce qu'il veut dire. Aurait-il envie de partir d'ici, s'il recouvrait la mémoire ? Il ne peut l'en blâmer, si l'envie lui prenait un jour. Lui n'a plus rien, il en est sûr, aussi son arrivée à Weirdtown marquait un nouveau départ dont il avait affreusement besoin. Mais Kyô ? Peut-être retrouverait-il sa famille. Ses amis. Son mari ou sa femme. Lui n'a plus rien de tout ça.

A vrai dire, sa relation avec Kyô est ce qui se rapproche le plus d'une relation amicale. Ce qui en fait son seul et unique ami, en fait. S'il partait... Il serait seul, de nouveau. Il ne peut s'empêcher d'avoir un léger pincement au coeur en l'imaginant déjà repartir. Mais ça ne semble pas vraiment dans ses plans, de ce qu'il dit.

« Un peu. » avoue-t-il lorsque Kyô lui demande s'il a faim, zyeutant l'assiette sans doute froide désormais trônant sur la petite table basse. Son ami ne se fait pas prier et part lui réchauffer le plat dans la cuisine. Xiao ne se sent plus nauséeux, aussi devrait-il réussir à garder le contenu de son estomac à l'intérieur, cette fois.

Après ça, il ira sans doute se reposer. Sa petite crise l'a épuisé, et il est toujours en plein milieu de la maladie. Cependant, il soupire puis se lève. Il faut toujours ramasser les bouts de tasse brisée dehors.

Une fois les éclats de verre ramassés, Xiao se hâte de rentrer se remettre au chaud. Kyô est déjà revenu de la cuisine, son assiette dans les mains.

« Ce n'est qu'une tasse, ce n'est rien, fait-il en balayant métaphoriquement ses excuses. Il n'est pas matérialiste pour un sou, et il y a bien plus grave qu'une tasse brisée. Quant à aller racheter une tasse ensemble ? Bah... Comme tu veux. Il hausse les épaules. Il s'en fiche un peu, d'avoir de la compagnie, mais si ça peut lui faire plaisir...

Le malade fait un saut rapide à la cuisine pour jeter ce qu'il a dans les mains, puis rejoint son comparse dans le salon. Il prend l'assiette posée sur la table basse, la paire de baguettes qui se trouve à côté, puis s'installe à ses côtés. Il tousse un peu, puis ça se calme.

Ton oeil ne me gêne pas, affirme-t-il avant de doucement souffler sur le curry. Il pointe ensuite la cicatrice sous son propre oeil. Ce serait hypocrite de ma part.

Cette marque n'est pas la seule que porte son corps, mais nul besoin d'en dévoiler davantage. Celle sur sa pommette est bien assez voyante pour que le parallèle avec son oeil aveugle fonctionne. Souvent, il a vu le regard des gens se poser sur elle, ses interlocuteurs se questionant sur les raisons pour lesquelles il porte une telle balafre. Tu n'as pas à te cacher avec moi. Je m'en fiche. » Et il prend une bouchée de curry.

Oh, si Kyô savait. S'il savait ce qu'il dissimule sous son pull... Peut-être que c'est lui qui lui demanderait de se cacher. Mais non, il n'est certainement pas comme ça. Kyô est bien trop gentil pour avoir de telles pensées.

Au final, ils se ressemblent peut-être plus qu'ils ne l'imaginaient au départ.

L'assiette est rapidement terminée, son estomac semblant encaisser la nourriture sans broncher, cette fois. Il la repose sur la petite table, et tente d'attirer le chat avec une série de claquements de la langue. Ce dernier relève la tête, tranquillement installé dans sa boîte, puis trottine jusqu'aux deux hommes. Il saute sur le canapé et s'installe entre eux, ravi d'obtenir quelques caresses de nouveau.

Xiao se sent observé, et il a bien raison : encore une fois, on le dévisage, et c'est sa cicatrice qu'on inspecterait bien sous tous les angles si c'était possible. Maintenant qu'il y réfléchit, il ne se rappelle pas avoir déjà parlé de son histoire à une quelconque personne.

Kyô, tout naturellement, finit par la lui demander. Toute balafre a son anecdote, et la sienne ne fait pas exception... sauf qu'il ne s'en rappelle pas exactement. C'est flou, comme à peu près chacun de ses souvenirs - à l'exception d'un seul, maintenant. Machinalement, il porte une main sur son visage, ses doigts frôlant ladite marque sous son oeil droit.

« Je ne me souviens pas vraiment, avoue-t-il franchement, entre deux caresses de Kutsu. Sans doute un cadeau de mes parents. Si sa mémoire n'est que ruines, il a pourtant cette impression d'avoir été battu par ses géniteurs. Comme de vieilles réminiescences ineffaçables, malgré la malédiction - bénédiction ? - de Weirdtown. En témoignent les quelques marques sur son corps, dont Kyô peut avoir un aperçu.

- C'est une bonne idée. Peut-être que comme ça, tu te souviendras plus longtemps... Ou au moins, tu pourras faire tout comme, ajoute-t-il, grattant sa cicatrice avant de remonter les manches de son pull. Il a chaud. Pourquoi tu restes ici, alors ? C'est une question légitime : pourquoi rester à Weirdtown s'il a tant peur d'oublier ? Rien ne l'empêche de quitter la ville - même si Xiao n'a jamais entendu parler de quelqu'un étant parti - puisque presque rien ne le retient ici. A sa connaissance, il n'a que Xiao qui, éventuellement, pourrait l'en empêcher. Après tout, il est peut-être le seul lien le rattachant à sa mémoire - originelle - disparue.

Beau, lui ? Avec ses cheveux en bataille, ses longs cernes d'un noir profond, sa barbe négligée et son côté un peu cassé ? Xiao se fige un instant à la révélation du japonais, avant de hausser un sourcil. Il ne se considère pas beau, clairement pas. A vrai dire, c'est surtout qu'il s'en fiche. Pour lui, beau ou pas... Mais tout de même. Lui n'a rien des standards de beauté attendus, et il ne fait rien pour en faire partie. Kyô est quand même bien plus beau que lui ! Il tente de capter son regard, mais ce dernier semble le fuir. Il rougit, même. Eh ben...

Kutsu roucoule. Peut-être pour approuver les dires de l'invité de la maison ? Son maître le grattouille entre les oreilles, il a l'air content.

Plus rien ne le retenait au Japon... Xiao le comprend, oh, comme il le comprend. Lui non plus n'avait plus d'attaches lorsqu'il est arrivé ici. Ils se ressemblent vraiment bien plus que ce que les apparences laissent penser.

« Je comprends, répond-il simplement en regardant son chat. Ici, il peut refaire sa vie. Se bâtir un nouvel avenir, sans doute plus radieux que ce qui l'attendrait au Japon. C'est une nouvelle chance pour toi, finalement conclue-t-il. Weirdtown doit probablement être la solution aux problèmes de nombre de gens ; Kyô et lui-même compris.

Il est pris d'une nouvelle quinte de toux, qui le force à porter sa main devant ses lèvres. Il se râcle la gorge puis soupire une fois qu'elle est passée - quelle plaie.

Son sourire se fade en inquiétude envers Xiao lorsque celui-ci se remet à tousser. Il est moins à l'agonie que tout à l'heure, mais il ne semble clairement pas en état de fonctionner correctement. Aller travailler semble compromis, et comme le dit si bien Kyô, peut-être devrait-il se laisser le temps de guérir avant de reprendre du service. Il est fatigué, si fatigué...

Sa tirade est accueillie par un soupir agacé envers lui-même, mais il abdique finalement. « Peut-être, finit-il par concéder. C'est un début.

Le japonais annonce ensuite qu'il est temps pour lui de partir. Il est vrai qu'il a passé une grande partie de la journée ici, à veiller sur lui... Il a sans doute des choses à faire. Le policier n'a pas entendu son téléphone, mais à quelques jours de l'ouverture du shop, Kyô a sans doute quelques papiers ou autres clients à s'occuper.

Il lui laisse des médicaments et de la nourriture. On avait rarement aussi bien pris soin de Xiao, et malgré son caractère de cochon, il lui est redevable. Il le lui rendra, à un moment ou à un autre. Xiao le remercie d'un regard et d'un mouvement de tête, simplement.

- Bonne soirée, Kyô. » lui lance-t-il par-dessus le canapé, le regardant partir du coin de l'oeil, une main sur la fourrure rousse de son chat.

Il ne le lui a pas avoué, mais malgré l'émergence d'un nouveau souvenir bien peu plaisant, il a apprécié ces quelques moments passés en sa compagnie.

Xiao rassemble ses dernières forces et se lève, poussant Kutsu sur le côté. Il va fermer la porte d'entrée à clé, puis décide d'aller prendre une douche avant d'appeler le poste pour signaler son absence.

Ensuite, il ira dormir. Se reposer, comme le lui a suggéré son ami, inquiet. Inconsciemment, il sourit légèrement.

Peut-être ne seront-ils plus seuls, désormais.