On m'avait pas dit que le savoir pesait si lourd | Libre

C'est une belle journée qui s'annonce.

Aujourd'hui, Orion n'a pas cours ni ne travaille. Monsieur Bard lui a grâcieusement offert son après-midi après qu'il ait fait quelques heures supplémentaires cette semaine, alors il est allé à la bibliothèque après s'être baladé en bordure de la forêt. Pas d'activité scout prévue aujourd'hui non plus...

C'est donc au rayon "sciences et vie" qu'il passe une partie de son temps libre, feuilletant divers ouvrages sur la faune et la flore d'Europe. Il dessine quelques plantes dans un carnet, prend une poignée de notes, rêvasse un peu, puis se met à gribouiller tout et n'importe quoi. C'est quand il s'applique à finalement redessiner un bouquetin dans un style quelque peu raté - ses oreilles sont par ailleurs très réussies, dans ce style-là - que la fin du monde arrive.

La bibliothèque en face de lui vacille soudainement, puis tombe comme au ralenti dans sa direction.

Ses voisins ont ainsi pu apercevoir un jeune adolescent, t-shirt jaune criard et salopette en jeans clair crier alors qu'un immense meuble s'effondre sur lui.

Une dame s'époumonne alors à son tour, mais Orion ne la voit pas - il est déjà sous les imposantes étagères, qui se mettent alors à trembler en rythme, comme au gré de sanglots...

Puis, c'est le silence de son côté du rayon. Il a disparu.

Des éclats de voix lui parviennent néanmoins - les deux semblant demander à quelqu'un si tout va bien. Orion, lui, ne répond pas.

Ce n'est qu'au bout de quelques instants qu'une toute petite voix chevrotante s'élève alors entre deux éclats de voix de l'autre côté ; mais comme venant du meuble écroulé :

« ᴬᵘ ˢᵉᶜᵒᵘʳˢ··· »

Il a un peu froid, coincé dans le meuble de la bibliothèque.

Pris de peur, il s'est réfugié dans la première des choses qu'il a vu : ledit meuble. Ainsi, ce qui le relève - il ne voit pas ce que c'est, ayant fermé les yeux - ne peut que constater qu'il n'y a personne en dessous, contrairement à ce qu'on aurait pu croire avec l'appel au secours formulé précédemment. Est-ce un humain ? Est-ce une créature ? Ou est-ce... autre chose ?

Orion finit par entrouvrir un œil, puis le deuxième, et il voit enfin un trio de gens regroupés au même endroit, près d'une pile de livres étalés au sol. Un grand homme aux cheveux bleu comme le ciel, un adolescent à la queue de singe qui fouille sous les livres et une dame autoritaire aux cheveux à la fois blanc et noir. Cette dernière semble tombée à la renverse dans le tas de bouquins, et le grand costaud doit être celui qui a redressé la bibliothèque. Tu as un instant d'admiration et de redevabilité pour lui, qui a tout l'air d'un méchant de dessin animé avec son cache-œil. Une vision tout à fait normale à Weirdtown, finalement.

Les tremblements du meuble se calment avec le jeune fantôme, réalisant qu'il est sain et sauf. Il a oublié, l'espace d'un instant, encore, qu'il est un fantôme, et que rien ne peut vraiment le tuer dans cet état-là. Tout intangible qu'il est, les objets lui passent à travers et la bibliothèque ne fait pas exception - c'est ce qui l'a sauvé. Il soupire de soulagement, mais ne parvient pas à matérialiser son corps en dehors du meuble, une fois que l'adolescent a remis quelques livres en place. Il est ainsi toujours invisible aux êtres lambdas, comme semblent l'être les trois humains en face de lui.

« Je- Je ne suis ni un gnome, n-ni une fée..., fait-il doucement, à voix basse, comme s'il n'osait pas parler. Mais dévoré par le meuble... En un sens, c'est vrai.

Sans doute ne l'entend-on pas, par ailleurs, car le plus jeune retrouve la canne de la dame en une exclamation de joie tout de suite après. Ce n'est pas grave, car ladite dame semble blessée, et c'est autrement plus important. Oh, non... La tête du fantôme dodeline un peu, comme s'il se dandinait sur ses petites jambes, et son visage prend un air attristé. Il n'aime pas voir des gens blessés et souffrir.

- Je vais chercher de l'aide ! » annonce-t-il avant de disparaître de nouveau dans le bois, le traversant pour retourner à sa place initiale.

Toujours invisible, il se dirige vers la grande allée de la bibliothèque à la recherche d'une aide quelconque. La plupart des gens l'ignorent lorsqu'il tente de les interpeller, d'autres lui intiment de se taire - ne sommes-nous donc pas dans une bibliothèque, où le silence est d'or ? -, d'autres encore prennent peur en entendant un fantôme s'adresser à eux. Dépité, il s'apprête à retourner voir le trio quand, soudain, son regard est attiré par un chariot laissé à l'abandon dans l'un des passages, près du mur, portant quelques livres.

Ni une, ni deux, le voilà qui s'apprête à décharger l'objet de son fardeau pour se l'accaparer. Mais, incapable de se rendre tangible à nouveau... Il n'a d'autre choix que de posséder la petite charrette pour pouvoir la mouvoir en direction de ses camarades d'infortune. Son plan ? Transporter la dame dessus pour l'amener à l'hôpital.

Ouais, on a connu mieux, comme idée. Mais c'est la seule qu'il a eu, dans la panique.

Pauvre de lui.

Co... Comment ça, ce truc ? Il n'est pas un truc, il est Orion ! La remarque l'attriste, avant qu'il ne songe finalement que personne ne peut le voir pour le moment. Ah, oui. Qu'il est teuteu, oh la la !

La dame semble avoir encore mal à la cheville, alors heureusement qu'il est là ! Si la dame bi-goût ne semble pas lui porter grand intérêt - ou plutôt, semble suspicieuse à son égard, en témoigne son regard insistant ; ce qui le gêne d'ailleurs beaucoup au point de se dandiner sur ses gambettes inexistantes -, le grand monsieur aux cheveux bleu comme le ciel lui demande de se rapprocher d'eux. Lui a l'air si gentil, bien que la madame lui parle méchamment. Pourquoi agit-elle ainsi, alors que tous ne cherchent qu'à l'aider ? Orion ne comprend pas, mais il obtempère cependant avec plaisir et s'avance, doucement, encore un peu dans leur direction.

« Je m'appelle Orion... signale-t-il d'une petite voix, peut-être trop basse pour qu'on l'entende, cependant ; par peur de la méchante dame.

Mais au moins, ils n'auront qu'une poignée de mètres à faire pour le rejoindre... Attendez, quoi ? On l'empoigne subitement, et il est poussé encore plus près. C'est le jeune adolescent brun qui s'est saisi de lui et qui n'a visiblement pas compris qu'il possède actuellement l'objet qu'il tient en mains.

Il n'aime pas se sentir ainsi dirigé mais contient sa gêne, se laissant faire malgré tout. Sa remarque a cependant le don de le dérider un peu tandis qu'il imagine un chariot faisant le cri d'une ambulance. Typiquement ce qu'on pourrait retrouver ici, à Weirdtown, songe-t-il alors qu'on... lui jette quelque chose à la figure ?!!

Par instinct de conservation, il lève les bras et crie alors qu'il ne ressent aucune douleur... ce qu'il constate juste une seconde après.

Le trio peut ainsi apercevoir des petits bras d'adolescent sortir des poignées du chariot, placés en position défensive avant qu'ils ne se relâchent, accompagné d'un soupir gêné.

- Ex-excusez-moi... » fait-il d'une voix contrite. Le chariot bouge légèrement de droite à gauche, signe que le gamin se dandine de malaise. On peut entendre des "chut !!" s'élever d'au fond de la bibliothèque en réponse à son cri, et ça l'embarrasse encore un peu plus.

Alors il se tait, rentre la tête - invisible - dans ses épaules et attend patiemment la suite, le bout de ses index se joignant en faisant pouic pouic.