[Mission - L'argent qui coulait à flot] Liánhuā

Liánhuā passait la plupart de ses nuits à errer au Quartier Hispanique, et cette nuit-là n’était pas une exception. Que l’attendait-elle dans les profondeurs des ténèbres ? Croiserait-elle El Coco ? Serait-elle noyée dans le vide et le silence ? Se réveillerait-elle la tête dans le vague, comme cela lui arrivait parfois ? Elle l’ignorait, mais les lumières de la ville avaient quelque chose de glaçant pour elle. Elle n’aspirait qu’à se fondre dans les ombres.

Disparaître.

Même si la lune montait doucement dans le ciel, la nuit n’avait pas encore atteint son zénith. Les chances de croiser le Boss du quartier à cette heure-ci étaient encore relativement faibles. Les établissements étaient encore animés, les rires portés par le vent estival qui ne s’estompait jamais.

Liánhuā n’aspirait qu’au calme, et pourtant, à un moment, sans réellement trop savoir comment ni pourquoi, elle finit happée par un des serveurs du bar à tapas. « Eh, toi ! Le service ce soir est infernal, on a besoin d’aide. » Elle aurait pu refuser – ce n’était pas son métier, elle ne devait rien à ces personnes.

Oh, qu’elle leur devait tout, bien au contraire… Liánhuā était bien incapable de refuser – peut-être le serveur le savait, à force de l’observer errer dans le quartier le soir. C’est finalement une employée de plus qui rejoignit le service, bien atypique de surcroît – elle n’avait pas l’air dans son élément. « Souris un peu » lui dit-on, constatant son air perdu. « Tu vas faire fuir la clientèle si tu fais la tête comme ça ! » Ah… Certes… Liánhuā s’efforça de sourire.

Tout était bien difficile, mais le pire fléau pour une personne aussi introvertie était bien d’être populaire auprès des clients. Lorsqu’un jeune homme très bruyant arriva au bar, commandant boisson sur boisson sans jamais se lasser, les paris furent lancés ; qui arriverait à lui faire cracher le plus d’argent. La courte paille fut tirée parmi les employés, qui voulaient tous leur part du butin. Chance ou malchance ?

« C’est ma tournée, à border l’artimon ! » s’écria le jeune homme, alors que Liánhuā découvrait avec dépit qu’elle avait tiré la queue rouge du lot. Des regards jaloux lui furent lancés de part et d’autre, bien qu’elle ne comprenne pas réellement pourquoi on l’enviait – elle aurait volontiers échangé sa place, en réalité. Mais un employé la poussa doucement vers la table où se trouvait le client déchaîné, avec un clin d’œil, « N’oublie pas de sourire », y lisait-elle.

Rassemblant son courage, Liánhuā avança jusqu’à la table occupée par le jeune homme. Le contraste était aussi fascinant que ridicule – un homme, joyeux et rustre, soucieux uniquement du présent, vivant au jour le jour et prêt à dépenser sans compter pour un peu de joie, et une femme, un faux sourire collé sur le visage, les yeux calmes, la conscience tourmentée par des actes dont elle n’avait même plus souvenir, et qui n’était venue ici que pour rencontrer El Coco. Des rires éclatèrent dans la salle.

« Bonjour monsieur. » Si elle avait bien compris qu’elle devait faire un effort pour sourire, Liánhuā ne s’exprimait pas moins de manière monotone, presque triste. « Puis-je vous servir quelque chose à boire ? Ou à manger ? » Elle avait fait de son mieux pour retenir le menu lorsqu’elle avait été happée par le personnel plus tôt. Elle n’était pas experte, mais au moins serait-elle à même de répondre à une ou deux de ses questions s’il en avait.