Il semblait incroyable que des citoyens voulussent braver la nuit et le danger d’El coco pour se livrer à des pratiques peu claires. Des coups de feu entendus, tel était le fait sur lequel je me devais d’enquêter en ce jour. Il était toujours difficile de savoir ce qui se tramait une fois le soleil couché, en raison de la présence du boss du quartier hispanique. De mon côté, pour avoir déjà croisé sa route, je me méfiais de lui comme de la peste. Je n’avais pas souvenir avoir entendu parler d’une mort sous ses griffes, pas plus que je n’avais souvenir d’avoir entendu parler de la moindre mort à Weirdtown. Pourtant, je savais qu’il présentait un danger pour la sécurité de nos citoyens. Et malgré les nombreuses plaintes envoyées à la mairie à son sujet, rien n’était fait. Je ne pouvais qu’en déduire que le maire et Goosebump étaient de mèche avec lui. Si je n’avais guère connaissance de la relation qui pouvait exister entre les boss, j’étais persuadé que ces derniers étaient solidaires les uns avec les autres. Nous n’étions vraisemblablement qu’un divertissement à leurs yeux. Toujours était-il que je me demandais quel pouvait être leur rôle exact dans la ville de l’étrange – pourquoi n’y avait-il aucun boss dans la forêt par ailleurs ? S’y aventuraient-ils seulement ou bien cette zone n’était pas régie par les mêmes règles ?

Au moins la présence d’El coco avait un avantage, celui de nous épargner un certain travail de régulation la nuit. Même la police évitait de traîner au crépuscule. Pourtant, il semblerait que certains eussent été assez braves – ou assez fous – pour tout risquer lors d’un probable trafic d’armes. Avais-je seulement une chance de ne point rentrer bredouille dans cette enquête ? Dans tous les cas, il me fallait essayer, et prendre les témoignages au sérieux. Aussi m’étais-je dirigé vers la zone des faits. Quelques traces de sang séché sur le sol laissaient supposer que rien de tout ceci n’était imaginaire. Les sourcils froncés et continuant ma patrouille, je m’étais arrêté vers une maison du quartier africain. Il me fallait plus d’indices, plus de témoignages. Et peut-être cet habitant serait capable de me renseigner – du moins le pensais-je. Sonnant à la porte de la maison, je m’étais légèrement râclé la gorge en préparant ce que j’allais dire.

« Bonjour, navré de vous déranger. J’aurais besoin de vous poser quelques questions concernant l’activité nocturne des alentours. »

L’homme aux cheveux blonds devait faire ma taille. Était-il mécontent que j’eusse frappé à sa porte ? Je n’arrivais pour le moment guère à le déterminer. Je savais néanmoins qu’il pouvait être intimidant pour certains de voir la police débarquer chez eux. Politesse était donc de mise, aussi avais-je pris soin de parler d’une voix calme et non inquisitrice.

« Je vous remercie d’avance pour votre coopération. »

Était-ce une impression ou n’était-il guère content de me voir ? Rien d’alarmant à cela, certains n’aimaient point les uniformes de policier. L’homme avait beau être plus âgé que moi, je savais qu’il pouvait tout de même être intimidant d’être face à quelqu’un des forces de l’ordre. On ne savait pas toujours à quelle sauce on allait être cuisiné. Aussi avais-je pris soin de prendre un ton calme et non inquisiteur. Certains aimaient peut-être abuser de leur position, mais je n’étais évidemment pas de ces personnes. J’avais frappé à la porte de l’un des citoyens de la ville – dont il était de mon devoir de protéger –, il n’était certainement pas question de manquer de courtoisie. Il avait pris un ton inquiet à la mention de l’activité nocturnes des alentours et ne semblait pas savoir à quoi je faisais allusion. Bien sûr, ce n’était qu’un introduction, il fallait que je fusse plus précis.

« Pas ici, mais au quartier hispanique. Plusieurs personnes se sont plaintes de coups de feu… Et nous soupçonnons également des activités illégales la nuit, quand El coco rôde. »

Il pouvait paraître étrange que je vinsse jusqu’au quartier africain pour mener l’enquête. Pourtant, je devinais que l’homme aux cheveux blonds n’était pas du genre à se laisser impressionner facilement. À vu d’oeil, je reconnaissais sans mal qu’il ne devait pas avoir froid aux yeux dans la vie de tous les jours. Quelle genre de vie devait-il mener d’ailleurs ? Pour le moment, je devais me concentrer sur ma mission du jour. Mes pas m’avaient mené jusqu’à sa porte, j’espérais que ce ne fût pas pour rien. Toujours était-il que je devais lui faire savoir que je n’étais guère là pour l’accuser de quoi que ce soit, j’étais surtout en quête d’une aide ou d’indices quelconques.

« J’ai entendu des rumeurs durant mes patrouilles, comme quoi vous connaîtriez beaucoup de monde. Vous êtes à Weirdtown depuis un moment n’est-ce pas ? Peut-être pourriez-vous m’aider à élucider cette affaire ? »

Il avait fait mine tantôt de ne rien savoir, se pouvait-il qu’il ne me fût d’aucune aide ? Que je perdisse mon temps ? Il était encore trop tôt pour laisser tomber, mais peut-être devais-je le mettre d’avantage en confiance avant de poursuivre. Me présenter serait la moindre des choses.

« Agent Diego Pastor, enchanté. »

L’homme face à moi – Faust Eisenhauer d’après ce que j’avais entendu de la part des citoyens – me renvoyait une drôle d’impression. En savait-il plus qu’il ne l’affirmait ? Je n’en avais aucune preuve, mais je soupçonnait qu’il n’était pas content d’avoir vu un policier frapper à la porte. Cela étant, les causes pouvaient très bien être multiples. Peut-être n’aimait-il tout simplement pas être dérangé – surtout de si bonne heure –, peut-être se méfiait-il des forces de l’ordre sans pour autant être un mauvais bougre. Je ne pouvais condamner – même intérieurement – une personne sur une simple intuition. Après tout, je ne faisais que mon travail. Au moins mon interlocuteur semblait-il coopératif, cela me facilitait la tâche. Pourtant… J’avais à nouveau cette impression que quelque chose ne tournait pas rond. Fallait-il que j’insistasse ? Que je poursuivisse mes investigations ? J’étais sûr d’une chose ; il fallait être prudent, il fallait être méfiant.

« Comme vous le savez, les nuits ne sont jamais paisibles à Weirdtown. Si El coco est dans les parages, nous soupçonnons tout de même un trafic d’armes lorsqu’il a le dos tourné. »

Ainsi, je restais évasif – sans étaler toutes les preuves que nous possédions –, tout en lui donnant assez d’éléments pour me répondre et m’informer sur le sujet de ma venue. Perdais-je mon temps ici ? Cet homme pouvait-il réellement m’aider ? Voulait-il seulement m’aider ? J’avais – une fois de plus – quelques doutes sur la question. Toutefois, ma curiosité concernant mon interlocuteur était piquée. Je ne pus m’empêcher de jeter un petit regard discret derrière son épaule, vers l’intérieur de sa maison. Je me demandais bien quel genre de vie il pouvait mener, et quelle devait bien être sa routine. Peut-être me trompais-je, mais j’avais l’impression d’avoir face à moi un homme expérimenté dans son domaine. Et malgré sa politesse, sans doute n’était-ce pas un tendre au vu de sa carrure.

« Pardonnez ma curiosité, mais en quoi consiste vos activités exactement ? Je sais que vous avez beaucoup de contacts au sein de la ville, mais j’ignore quelle est votre profession. »

J’espérais qu’il ne me tiendrait guère rigueur de dévier légèrement de mon sujet initial. Étais-je réellement à ma place de policier de demander ces détails ? Sans doute, cela pouvait faire partie de l’enquête. En cet instant, je regrettais presque la présence de quelqu’un de plus expérimenté à mes côtés – à l’image de Loke –, qui aurait pu m’aider sur cette affaire. Pourtant, il fallait bien que je fisse mes preuves un jour.