[HRP :
Le texte en gras est du langage alien.
Le texte en italique est de l'anglais.]
Ses oreilles se rabattent en arrière, telle la chatte réprimandée qu’elle est.
Devant le reproche de Lesley, elle ne peut que détourner le regard. Ses yeux sont plissés, sa mine à la fois peinée et renfrognée. Une partie d’elle regrette sa prise de parole. L’autre ne peut s’empêcher de croire qu’elle a, malgré tout, raison.
-...
Mais voila : elle capte les expressions affligées de Gretel et Orion, et immédiatement, sa culpabilité se renforce. Les entraîner avec elle, c’est une chose, leur saper le morale, c’en est une autre. Si elle estime ne pas avoir le moindre reproche à se faire sur le fond de ses dires, elle admet avoir manqué de délicatesse sur la forme.
-… Désolée.
Elle marmonne des excuses à peine audibles, toujours en fuyant leurs regards. Ce n’est pas de la fierté mal placée, mais c’est la boule dans son estomac qui prend toujours plus de place, qui la dévore chaque seconde un peu plus. Elle a beau vouloir envisager le contraire, elle ne parvient pas à être autre chose que pessimiste.
-C’est juste que… Les émotions de la Forêt… Ses mises en garde… Elles… E-elles…
Tremblante, elle vient plaquer ses oreilles sur sa tête à l’aide de ses pattes. Une vaine tentative d’étouffer ces avertissements lugubres, ainsi que la terreur qui l’accompagne. Cette même terreur qui se renforce à chacun de leurs pas. Des petites larmes viennent perler aux coins de ses yeux tandis qu’elle cherche à se justifier.
-Lily Noire ne peut pas les ignorer. C’est… C’est terrifiant. Je suis désolée, je… !
Je ne peux pas croire que cela va bien se passer.
C’est ce qu’elle aurait voulu préciser, mais sa voix s’éteint dans le vide. Peut-être, finalement, que tout ceci est une trop grosse pression pour une créature si jeune. Probablement que ces sommations seraient moins dures à encaisser si elle n’était pas la seule à les entendre – sûrement même, se décharger de son pessimisme est son unique moyen de s’apaiser émotionnellement. Et ce, même si cela revient à miner le morale de ses compagnons de route.
Ainsi, lorsque Lesley se penche vers elle, afin de la réconforter, elle ne peut qu’acquiescer machinalement. Elle n’est guère capable de faire mieux. Au moins, à défaut de tout mettre sur le dos du Percepteur, Lily Noire a pu verbaliser ses craintes.
Cela suffit, à minima, à lui faire lâcher ses oreilles.
Dans une tentative de retrouver sa constance, elle renifle un coup, et redresse le menton. Quand bien même elle est peu rassurée, l’idée même de faire demi-tour ne lui effleure pas l’esprit. La perspective de ne pas retrouver Maodan l’effraie plus que toute autre chose – la Forêt aura beau la mettre en garde… Elle ira.
Elle doit s’assurer de son état. A tout prix.
Elle se contente de hocher la tête lorsque les scouts qui l’accompagnent s’organisent, essaient d’établir un plan d’action. Lesley a pour elle son expérience et sa capacité à garder la tête froide. Orion n’a rien à craindre des blessures physiques et peut même se dissimuler aux vivants. Gretel… Eh bien, malgré son passage à vide, elle a son optimisme.
Et c’est peut-être ce dont ils ont le plus besoin, dans l’immédiat.
Alors, Lily Noire tait ses mauvaises pensées. Coquelicot après coquelicot, elle guide ces humains vers la source de cet effroi.
A force d’avancer, les arbres se font moins nombreux, jusqu’à aboutir à une clairière. Un champ dont les fleurs dansent gaiement au rythme de la brise. Leurs pétales se détachent et volettent par moment, accompagnant le mouvement des tiges qui ploient face au vent. Dont le lointain, le soleil qui décline projette sur cette vaste palette de couleurs des teintes orangées. Celles-ci ne font qu’accentuer le pourpre du sang qui dégouline des cadavres des scouts, avachis parmi les fleurs.
-…. !
Lily Noire s’immobilise, tétanisée. Il n’y a que peu de doute possible. Ils sont inertes, vidés de leur sang, face contre terre. Elle n’a même pas besoin d’approcher pour deviner qu’un contact avec leur corps ne résulterait qu’en une sensation froide et morbide.
« Il n’y a pas de morts à Weirdtown. » Cette maxime s’impose à son esprit, comme une façon de nier l’évidence. Pourtant, qu’en est-il des cadavres de moineau qu’elle dévore ? De ces carcasses de poisson qu’on lui laisse parfois ? Eux, sont bien morts, pas vrai ? Alors… Pourquoi pas ces humains ? On ne le répète jamais assez : la Forêt est un endroit dangereux. Certes, aucun décès n’y a jamais été recensé, mais… Sinon, en quoi serait-elle dangereuse ? Cela n’aurait pas de sens. Le danger est, par essence même, une cause de dommage, une menace sur l’existence.
Ainsi, si la Forêt est dangereuse, alors, il est raisonnable de penser que l’on peut y mourir.
Même en l’absence de précédent.
D’ailleurs, « Il n’y a pas de morts à Weirdtown » s’applique-t-il réellement, hors de la ville ? Si loin de la civilisation, des Boss et de leurs pouvoirs ? Dans cette zone sauvage et de non-lieu, munie de ses propres règles ?
Oh et puis, de toute façon, à quoi bon se perdre en conjectures ?
Ils sont morts, ils sont morts.
C’est tout.
Lily Noire se retrouve devant le fait accompli. Un fait qu’elle ne peut révoquer, désormais.
Et pourtant, face à cette apparente horreur, elle éprouve un certain soulagement. Elle ne reconnaît ni le cadavre de Katinka, ni celui de Rain. C’est une bonne nouvelle. Et puis, peut-être que ces scouts là ne sont pas morts morts. Je veux dire… Regardez Orion ! Il est mort, mais pas tout à fait non plus, n’est-ce pas ? Il est bien là, avec eux. Alors, peut-être que ces scouts aussi, sont là, quelque part. Fantomatiques. Mais… Là quand même. Vous voyez ?
En clair, si la situation ne tenait qu’à ça, Lily Noire aurait certainement pu passer outre. Elle aurait été choquée, certes ; bouleversée, un peu ; mais traumatisée ? Abattue ? Non, peut-être pas.
Sauf que voila. La situation ne tient pas qu’à ça.
Ainsi, lorsque son regard se pose sur son corps, le monde de Lily Noire cesse immédiatement de tourner.
-…. !!
Il est là, au centre du champ de fleur. Un peu comme une allégorie de son rôle dans la Forêt. A sa vue, le cœur de la créature rate un battement. Elle ressent une faiblesse soudaine, qui paralyse ses bras et ses jambes. Elle entrouvre la gueule, béante ; son regard se fige, ses pupilles se dilatent – même ses queues cessent tout mouvement.
-… N-Non…
Elle peine à réaliser ce qu’elle voit. Il est inerte. Couché parmi les fleurs. Normalement, son buste devrait se soulever et s’abaisser, en rythme avec sa respiration, mais là, il n’en est rien.
-… Pas ça…
Sa mâchoire tremble, peine à former des sons. La vision de son sa maître maîtresse parmi les fleurs arbres emplit son esprit d’une terreur innommable.
-… Pas encore…
Impossible.
C’est la seule conclusion à laquelle elle parvient.
C’est vrai, après tout, il… Il doit faire une sieste. Il doit dormir. Oui, voila tout ! Et puis, il n’y a aucun ennemi aux alentours. Qui aurait pu lui faire ça ? Personne. Mais les pulsions meurtrières qu’elle ressent, alors, d’où viennent-elles ? De la Forêt elle-même ? Non, ça ne ferait aucun sens. Qu’est-ce que ça pourrait être, de toute façon ? Des fleurs vampires ? Non, pas dans une clairière exposée au soleil. Ça ne peut pas être un saule bailleur non plus – elle le verrait, sinon. Une plante piège à ours, peut-être ? Non, ça n’y ressemble pas. Elles font en sorte que leurs proies restent droites, pour qu’elles aient l’air vivantes de loin. Et là, Maodan, il…
Il…
Il a l’air…
...
De toute façon, Maodan contrôle les plantes ! Alors, il n’existe aucun végétaux capable de lui faire du mal.
C’est tout.
C’est ça.
Il va bien.
Forcément.
Maodan ne peut pas…
Maodan ne peut pas être…
Maodan…
Il…
Il n’est pas…
Il... ?
-… ?!
Le son d’une abrupte inspiration vient tirer Lily Noire de sa torpeur.
Il…
… Il respire.
IL BOUGE !
Stupéfaite, elle voit son corps s’ébranler, et ses mains tâtonner le sol afin de se redresser. Tout aussitôt, l’immense poids qui étreignait la jeune chatte s’envole : elle a eu raison de douter.
Maodan ne pouvait pas s’être fait avoir.
Il est en vie.
Tout va bien.
Gretel est plus réactive qu’elle, et déjà, elle s’élance à son chevet. C’est en la voyant partir au quart de tour, sac en avant, qu’elle se rappelle que non, tout ne va pas bien. Maodan est vivant, certes, mais… Il est peut-être gravement blessé ! Dans ce cas, ils doivent à tout prix aller le soutenir.
Il n’y a pas à hésiter.
Il faut aller à l’aider.
-MAODAN !
Avec un temps de retard, Lily Noire s’élance à son tour. Courant à travers champ, ignorant les corps des scouts, elle se précipite auprès du gardien chancelant.
-Maodan ! Nous sommes là ! Tout va bien !
Ses yeux, embués par les larmes, l’empêchent de discerner l’expression de son maître. La fouille intensive du sac de Gretel, néanmoins, attire son attention : il semblerait qu’elle peine à trouver sa trousse de secours. Lily Noire n’attend guère plus longtemps pour faire passer son sac devant elle, et l’ouvrir en grand.
-Gretel ! J’ai… J’ai de quoi le soigner, m-mais… Lily Noire n’est pas sûre de savoir comment faire ! Soigne Maodan, je t’en supplie !
Tout son corps est agité, ses pattes tremblent et Lily Noire est en proie à plein de sentiments contraires. Le soulagement, la crainte, la joie, la peur, l’anxiété, l’impatience, la colère, la fureur, la haine.
D’où vient toute cette rage ?
Lily Noire la ressent intensément.
Elle aurait pu retenir Gretel, prévenir Lesley et Orion qu’il y a quelque chose qui leur veut du mal, et que cette chose est toute proche, qu’il est peut-être même trop tard et qu’ils feraient mieux de rebrousser chemin.
Mais elle n’a pas été capable de faire la part des choses. Alors, maintenant que Gretel et elle sont dans ce champ de fleurs, qu’elles ont rejoint Maodan, Lily Noire comprend qu’elles ont toutes deux ignoré la seule règle qui leur était imposée.
« Restons tous vigilants. »
Cette réalisation faite, Lily Noire, emplie d’une terreur nouvelle, cherche à capter le regard du gardien.
-Q… Qu’est-ce qu’il s’est passé…. ?